Empire de l’harmonie

Les Japonais sont respectueux de tous les cultes, quels qu’ils soient, et ont gardé un sens du rituel qui fait souvent défaut dans les pays développés. Plus que des religions, bouddhisme et shintoïsme sont des modes d’être inscrits de longue date dans les mentalités. Au moment de l’introduction du bouddhisme sur l’Archipel, au sixième siècle, via la Corée, les notions d’impermanence et d’interdépendance des phénomènes du vivant ont dû s’intégrer sans mal au fonds antérieur de croyances animistes et chamaniques qui considèrent l’être humain à égalité avec les autres formes de vie, inscrit comme elles dans le grand cycle de la nature. Pour se distinguer de cette nouvelle religion, les anciennes croyances présentes depuis de nombreux siècles sont regroupées un peu plus tard sous le nom de shinto (« voie des kami »). Loin, bien loin du monothéisme et de la notion d’un dieu créateur transcendant, l’âme japonaise est vouée à l’immanence d’un « moi » peu défini, qui se confond avec son environnement. La langue même en porte la marque : le sujet n’est pas obligatoire dans la phrase japonaise, d’où le « je » est souvent absent. Une scène peut être décrite comme existant par elle-même, sans aucun sujet : à partir du réel lui-même, non à partir d’un témoin central tout-puissant, comme dans les langues occidentales.

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Au Japon on a tendance à privilégier la cohésion et à éviter les conflits pour préserver la paix de la communauté, plutôt que se considérer comme des individus pensant différemment les uns des autres et pouvant exprimer clairement leur avis, quitte à trouver des compromis en cas de désaccord. Le précepte « l’harmonie doit être respectée et toutes les discordes évitées » est connu comme le fondement même du sens des valeurs japonaises. On considère l’esprit d’entente comme la vertu suprême, tandis que le comportement égoïste est méprisé. Cela rend la vie en société agréable, c’est un fait. Mais les Japonais ont, comme tout le monde, des personnalités différentes, et il y a forcément des frictions. Si on veut les éviter à tout prix, oppression et exclusion deviennent nécessaires.

Corinne Atlan dans Japon : L’empire de l’harmonie

Une pièce musicale de Jean-Pierre Rampal · Rentaro Taki · Ensemble Luminaire – Kojo No Tsuki (Taki)

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