Cache cache

Jour d’été, soleil nonchalant parmi les arbres du verger. Rabbi Baruch, les yeux mi-clos dans son fauteuil de vieil osier, regarde les enfants éclabousser l’air bleu de piaillements pointus, de rires, de poursuites. Ils jouent à cache-cache. Yahel, son petit-fils, semble avoir découvert un creux de rocher introuvable. « Il est futé », se dit Baruch. Il en est content. Il sourit. Le fait est que ses compagnons cherchent longtemps le dégourdi, se fatiguent enfin, l’abandonnent à son absence de partout, d’autant qu’un avion ronronnant traverse lentement le ciel. Ils se le désignent, ils bondissent, agitent les mains, le saluent et s’en retournent à d’autres jeux.

Yahel attend encore un brin, puis risque un œil hors de son trou, sort de pied en cap au soleil. Aucun regard ne se soucie de son retour sous les oiseaux. Ses amis sont à d’autres jeux. Le voilà seul. Pourquoi ? Misère ! C’est injuste. On l’a oublié ! Il s’étonne, il se sent puni. Du coup ses yeux débordent, il court à son grand-père, il lui raconte son chagrin. Et voilà que rabbi Baruch lui aussi renifle une larme.

Il serre l’enfant contre lui, il lui caresse les cheveux.

– Mon petit, lui dit-il, ton histoire est terrible. Il me vient à l’esprit qu’elle nous parle de Dieu. Il s’est caché, ce grand enfant, et il attend qu’on le déniche, mais personne, dans ce bas-monde, ne veut plus jouer avec lui.

Henri Gougaud (1936-) est écrivain, auteur de chansons, homme de radio, poète, chanteur français mais aussi occitan, pionnier du renouveau des contes. Et si les contes nous étaient aussi nécessaires que les arbres, les sources, les herbes, les maisons ? Ils nous accompagnent depuis que nous savons parler. Et que nous disent-ils, dans ce siècle bancal où nous devons réinventer notre façon de vivre ensemble ?

Henri Gougaud dans Contes impatients d’être vécus

Une pièce musicale de Chet Baker et Bill Evans – Alone Together