La source des contes

Aux premiers jours des temps humains fut une femme sous un roc, parmi les chasseurs endormis. Elle veillait. Elle était inquiète. Elle serrait contre elle un enfant mal vêtu d’une peau de bête. Il avait peur. Il avait froid. Il ignorait tout de la nuit, des cris sans corps dans les feuillages, des frôlements dans les buissons, des êtres silencieux, obscurs, qui rôdaient autour de l’abri. Sa vie ne tenait qu’à sa mère. Il savait cela. Elle aussi. On n’avait pas encore inventé les prières. Ce nourrisson qui grelottait, il fallait pourtant l’apaiser. Mais comment ? Elle ne savait pas. Elle laissa aller sa voix frêle, chanta tout doux. L’enfant se tut. Alors elle lui dit des mots simples, et simple fut l’obscurité, elle lui chantonna sa tendresse, et tendre fut le creux des bras, elle lui murmura que le jour bientôt réveillerait la vie, et lui vint la foi des enfants qu’aucun démon ne saurait vaincre.

Cette femme, cette nuit-là, inventa le flot infini des chants et des contes du monde. Les torrents, les fleuves d’histoires où nos âmes aiment à se baigner viennent de cette source-là, une bouche de mère inquiète pour son enfant qui ne dort pas. Pense à elle, de temps en temps. Il n’est pas de conte en ce monde qui ne soit pour l’amour de toi.

Henri Gougaud (1936-) est écrivain, auteur de chansons, homme de radio, poète, chanteur français mais aussi occitan, pionnier du renouveau des contes. Et si les contes nous étaient aussi nécessaires que les arbres, les sources, les herbes, les maisons ? Ils nous accompagnent depuis que nous savons parler. Et que nous disent-ils, dans ce siècle bancal où nous devons réinventer notre façon de vivre ensemble ?

Henri Gougaud dans Contes impatients d’être vécus

Une pièce musicale de Andreas Vollenweider interprétée avec Walter Keiser · Pedro Haldemann · Jon Otis – Caverna Magica