Regards sages sur un monde fou

Quelle démarche préconisez-vous pour ceux qui souhaiteraient retrouver ces valeurs tout en se gardant des idéologies traditionalistes?

La recherche intransigeante du vrai en osant remettre en cause ce que nous tenons pour indiscutable. Qu’est-ce qui est vrai, indépendamment de ce que je peux, moi, aimer ou ne pas aimer ? Qu’est-ce qui est vrai, indépendamment de mes réactions subjectives ? La culture de l’  » opinion  » dans laquelle chacun défend des prises de position déterminées par sa seule subjectivité est inévitablement destructrice. Et quand il n’y a plus d’accord sur les valeurs et le sens, les conditions deviennent favorables pour le succès d’une idéologie totalitaire. Cela peut paraître paradoxal au premier abord mais le totalitarisme naît de l’individualisme.

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Moins on se connaît soi-même, moins l’inconscient et les dynamismes psychologiques sont pris en compte, plus on aboutit à une subjectivité sans frein. L’un des revers de la libre expression n’est-il pas justement le règne de la subjectivité totale ? Que chacun puisse soutenir tout et son contraire aboutit à un certain éclatement…

A un éclatement certain. Effectivement, si la liberté n’aboutit qu’à de plus en plus de dissensions, de plus en plus de conflits d’opinions, de plus en plus de morcellement – il n’y a là rien de constructif. Ce qui est censé aujourd’hui faire l’intérêt d’un débat télévisé, c’est que les gens se contredisent. A l’issue de l’émission, le spectateur est laissé dans la confusion. Suivant que ses affinités le portent vers tel ou tel des intervenants, il va pencher plutôt d’un côté que de l’autre, mais il n’aura pas le sentiment d’avoir progressé dans la recherche, sinon de la vérité – dans le relatif, la vérité est toujours mouvante et fonction d’un ensemble- du moins d’une vision sereine des différents points de vue sur une réalité. De la discussion ne jaillit plus la lumière. Les  » débats  » dont notre monde est si friand auraient plutôt tendance à épaissir les ténèbres, à propager le doute et l’incertitude, ce qui est n’est pas sans conséquence sur le psychisme des individus et la structure même de la société. Plus de points d’appui stables, plus de repères certains, plus d’éthique reconnue inspirant les actions – et plus le moindre consensus quant aux principes directeurs et aux valeurs essentielles, que celles-ci soient laïques ou religieuses.

Arnaud Desjardins (1925-2011) est un maître spirituel français, il a suivi de nombreux enseignements dont au sein de groupes Gurdjieff. Sa pensée s’inscrit dans le cadre d’une tradition spirituelle transmise par son maître, Swami Prajnanpad, avec qui il s’engagera après avoir rencontré et filmé des sages de plusieurs traditions. Il se dit garant de la tradition de l’Adhyatma yoga, branche de l’Advaïta védanta.

Gilles Farcet (1959) a été journaliste, producteur à France Culture, traducteur et il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Il a travaillé plus de dix ans à Hauteville aux côtés d’Arnaud Desjardins.

Arnaud Desjardins et Gilles Farcet dans Regards sages sur un monde fou

Une pièce musicale de Steve Hackett – Horizons