La clôture des merveilles

Que chacun agisse selon son aptitude, selon son rythme et du mieux qu’il le peut. Que chacun tende vers la perfection qui est la sienne.

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Oui, la vie porte l’absolu et il revient à l’homme de l’incarner ici, qui ne l’atteindra jamais.

Oui, la beauté, la poésie, l’amour, l’éros, la joie, la subversion, l’autonomie, l’indépendance sont des valeurs contemporaines qu’il reste à défendre.

Oui, le but de l’homme est l’amour, toujours plus d’amour.

Oui, n’en déplaise aux marchands, aux esthètes, aux cyniques, aux épargnants, aux religieux et aux athées, la vie se conjugue dans la dépense, le don, l’ouverture, l’acceptation, la perte.

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L’homme se reconnaît à son visage, voit par ses yeux, entend par ses oreilles, ouvre la bouche pour parler, touche avec ses mains, marche avec ses pieds et voilà pourquoi les sens sont en l’homme comme des pierres précieuses et comme un précieux trésor scellé dans un coffre. Tout comme la vue du coffre fait que l’on devine le trésor, de même, par l’intermédiaire d’un sens, on comprend les facultés de l’âme. L’âme est la maîtresse tandis que la chair est la servante. L’âme est liée au sens à qui sont assujettis ceux du corps.

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Il est une terre inconnue, loin à l’intérieur des hommes, où, dans la matrice du silence le verbe met bas. Quête organique que celle de cette langue accouchée des origines, qu’ils sont si peu nombreux à s’en aller chercher. Ceux qui l’osent ont appris que l’écriture est habitée de sexualité comme le ventre et qu’il faut s’y enfoncer avec la même ardeur que les consonnes masculines fouaillent la béance des voyelles de la phrase. C’est au prix de cette conscience-là, et de l’enjeu qu’elle représente, que l’esprit circule entre les lettres et porte le souffle.

Moniale du XIIe siècle, Hildegarde de Bingen a marqué son époque. Ce ne sont pas seulement ses écrits, sa légende, sa connaissance scientifique ou botanique, qui ont fait de l’abbesse un sujet pour Lorette Nobécourt, mais bien l’insoumissions radicale où elle se tient.

En s’emparant d’une telle figure, la romancière n’entend pas tant honorer la quatrième femme docteur de l’Église que « dire haut et clair que la vie vivante est la seule ».Prêtant sa langue à celle de Hildegarde, elle se met au service du verbe et nous invite à oser entrer dans « la clôture des merveilles ».

Lorette Nobécourt dans La clôture des merveilles – Une vie d’Hildegarde de Bingen

Une pièce musicale de Hildegard von Bingen : Improvisation sur « O quam mirabilis