Contes d’une grand-mère

Clarisse 19-02-05

La matière est la matière, répondit la fée Poussière, elle est toujours logique dans ses opérations. L’esprit humain ne l’est pas et tu en es la preuve, toi qui te nourris de charmants oiseaux et d’une foule de créatures plus belles et plus intelligentes que celles-ci. Est-ce à moi de t’apprendre qu’il n’y a point de production possible sans destruction permanente, et veux-tu renverser l’ordre de la nature ?

– Oui, je le voudrais, je voudrais que tout fût bien, dès le premier jour. Si la nature est une grande fée, elle pouvait bien se passer de tous ces essais abominables, et faire un monde où nous serions des anges, vivant par l’esprit, au sein d’une création immuable et toujours belle.

– La grande fée Nature a de plus hautes visées, répondit dame Poussière. Elle ne prétend pas s’arrêter aux choses que tu connais. Elle travaille et invente toujours. Pour elle, qui ne connaît pas la suspension de la vie, le repos serait la mort. Si les choses ne changeaient pas, l’œuvre du roi des génies serait terminée et ce roi, qui est l’activité incessante et suprême, finirait avec son œuvre. Le monde où tu vis et où tu vas retourner tout à l’heure quand ta vision du passé se dissipera, ce monde de l’homme que tu crois meilleur que celui des animaux anciens, ce monde dont tu n’es pourtant pas satisfait, puisque tu voudrais y vivre éternellement à l’état de pur esprit, cette pauvre planète encore enfant, est destinée à se transformer indéfiniment. L’avenir fera de vous tous et de vous toutes, faibles créatures humaines, des fées et des génies qui possèderont la science, la raison et la bonté ; vois ce que je te fais voir, et sache que ces premières ébauches de la vie résumée dans l’instinct sont plus près de toi que tu ne l’es de ce que sera, un jour, le règne de l’esprit sur la terre que tu habites. Les occupants de ce monde futur seront alors en droit de te mépriser aussi profondément que tu méprises aujourd’hui le monde des grands sauriens.

– À la bonne heure, répondis-je, si tout ce que je vois du passé doit me faire aimer l’avenir, continuons à voir du nouveau.

Et surtout, reprit la fée, ne le méprisons pas trop, ce passé, afin de ne pas commettre l’ingratitude de mépriser le présent…

Contes d’une grand-mère – Georges Sand

Une chanson de Daniel Bélanger – Dans un spoutnik

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