Toute une vie

Dans l’avancée de la maturité et l’approche de la vieillesse, il est un … phénomène qui frappe: le rajeunissement progressif du cœur et de l’âme.
Depuis toujours, je pressentais que la nature ne pouvait pas vouloir la déchéance de l’homme. Aujourd’hui, je le sais.
Si la deuxième moitié de l’existence ne recelait pas un projet, nous serions éliminés – comme le sont certains animaux – après le cycle de la fécondité.
Ce projet qui nous est confié est invisible à l’œil.
J’aurais la tâche légère si je me plaignais de maux de dents: même si j’étais la seule à pouvoir vérifier mes dires, personne ne douterait de ce que j’avance. Mais si j’affirme que mon âme et mon cœur rajeunissent de jour en jour, je ne serais pas étonnée que certains n’y voient qu’une licence poétique. Ou un sujet d’agacement. Et pourtant!
Dans la jeunesse, l’âme n’est pas jeune. Elle est percluse du rhumatisme des modes, plie sous les idéologies, les normes en vigueur. L’Alzheimer juvénile la ronge: l’oubli de tout ce que l’enfant savait encore sur le sens profond des choses. La jeunesse transbahute tous les préjugés qu’on lui a inculqués, les jugements féroces, les catégories assassines. Elle est souvent dure comme le monde qui l’accueille. Sa lumière est sous le boisseau.
Ce long travail de la libération de l’intelligence, ce déminage du terrain après tant d’années d’occupation étrangère sont l’œuvre de la maturité. Quand l’obligation de faire un avec sa génération n’est plus une question de survie, on peut enfin écarter les œillères, laisser venir la clarté. Comme dans les grandes forêts où l’automne, en dépouillant les branches, donne le ciel à voir.
« Il faut toute une vie, écrit Jean Sulivan, pour élargir son cœur, ses opinions, pour conquérir sa liberté spirituelle. »
Toute une vie.
Voilà une chance à ne pas manquer.
Christiane Singer dans N’oublie pas les chevaux écumants du passé

Une pièce musicale de Paul O’Dette – Toccata arpeggiata

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