La présence pure

La poésie permet de tutoyer les étoiles.

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Deux biens sont pour nous aussi précieux que l’eau ou la lumière pour les arbres: la solitude et les échanges.

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Avant d’entrer dans la maison où il est aujourd’hui, mon père a séjourné pendant quelques semaines chez les morts, à l’Hôpital psychiatrique de Sevrey, près de Châlon sur Saône, dans le pavillon « Edelweiss ». Les morts n’étaient pas les malades mais les infirmiers qui les abandonnaient pour la journée entière sans aucun soin de parole. Les morts étaient ces gens de bonne santé et de vive jeunesse, répondant à mes questions en invoquant le manque de temps et de personnel, et qui, agacés, finissaient par conclure « de toute façon, vous ne pouvez pas comprendre. Vous êtes dehors et il faut être dedans, du métier, pour avoir la bonne intelligence, l’intelligence légitime. » Les morts étaient ces gens murés dans leur surdité professionnelle. Personne ne leur avait appris que soigner c’est aussi dévisager, parler – reconnaître par le regard et la parole la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu. Si égaré fût-il alors, mon père, montrant du doigt l’unique arbre présent dans la cour intérieure du pavillon – une torsade de bois et de douleur – leur avait par avance répondu : « il suffit de voir cet arbre pour comprendre que rien ne peut vivre ici.

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J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe, non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne.

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La vérité est ce qui brûle. La vérité est moins dans la parole que dans les yeux, les mains et le silence. La vérité, ce sont des yeux et des mains qui brûlent en silence.

Christian Bobin dans La présence pure et autres textes

Une pièce musicale de Harmonium Symphonique – Vert

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