Dans les nuages

Sur la neige couvrant la boite aux lettres, l’étoile minuscule d’une patte d’oiseau – de fraîches nouvelles du ciel.

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Chaque fois que je m’éloigne d’une page fraîchement écrite, je découvre à mon retour ce qui a fané sur les rameaux de papier, recroquevillé d’être inutile. Le temps qui passe est un ami précieux qui nous dépouille du superflu.

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J’ai grandi à l’intérieur d’une larme. À travers sa vitre scintillante, j’ai vu le monde éclatant de lumière.

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L’âme est plus subtile que l’air : la main de la mort ne peut se refermer sur elle.

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Je suis d’accord pour mourir n’importe quel jour.

Aux urgences, j’ai emmené un livre assez petit pour tenir dans une poche, assez dense pour éclairer des heures d’attente.

Je voudrais n’écrire que des livres qu’on puisse lire aux urgences, là où les questions qu’on nous pose et l’attention qu’on nous porte sont si froides qu’elles nous vident de notre âme.

Il y a une manière de vivre – comme si on ne tenait plus à la vie – qui est le nom le plus secret de l’amour.

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J’avais vingt ans et j’ai failli mourir. Mon père vint à mon chevet. Un instant il prit ma main. Au matin je revins à moi sans autre souvenir que celui d’une main dont la pression sur la mienne avait suffi pour colmater une brèche dans le ciel. La mort est à côté de la vie quotidienne comme une bougie à côté d’une meule de paille. Cette proximité terrible fait la vie merveilleuse.

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Tout m’est lecture. La plus grande partie de ma bibliothèque est dans le ciel, avec ses volumes dépareillés de nuages, jamais à la même place.

Christian Bobin dans Une bibliothèque de nuages

Une pièce musicale de Keith Jarrett – Summertime

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