Les yeux de l’orpheline

Enfin, je rencontrai Daniel. Ses yeux n’étaient ni gais ni tristes. Il avait même un visage sans expression. Cela venait, je l’appris plus tard, des longues heures qu’il passait à méditer, le dos bien droit, les jambes croisées. Je me sentais attirée par lui d’une manière étrange. En tremblant un peu, je lui confiai un jour qu’il m’arrivait de me sentir petite, toute petite comme une noix. Il écoutait gravement :

-Comme une noix, comment ?

En repliant mon index sur mon pouce, je dessinai un petit cercle :

Comme ça.

-Mais ce n’est même pas une noix cela, c’est une noisette.

-Oui, si on veut, dis-je toute émue, une noix ou une noisette c’est pareil. Je me sens si petite que j’ai l’impression de n’avoir ni bras, ni jambes et j’ai très peur.

Je n’en avais jamais autant dit.

-Et vous avez peur de quoi ?

-De quoi ? Je ne sais pas, c’est comme si tout autour de cette noix il n’y avait que du noir, un noir très triste et qui donne envie de pleurer.

Il m’écoutait tellement que je me suis mis à dire des choses auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant.

-Ainsi, me dit-il, vous êtes une petite noix.

Il me parlait si gentiment que je me sentais fondre complètement à l’intérieur.

-Non, pas toujours, il y a au contraire des jours où je me sens très solide, d’ailleurs, je fais plein de choses. J’adore même faire plusieurs choses à la fois.

Le lendemain, quand je le vis arriver, je le trouvai tout changé. Il me sembla moins raide, plus souriant.

-Je vous ai rapporté quelque chose, me dit-il et il ouvrit sa main. Dedans, il y avait trois noisettes.

-Voilà, vous allez les garder dans votre poche et chaque fois que vous serez triste, vous regarderez ces noisettes et vous pourrez vous dire ceci : « Même si je deviens aussi petite que la plus petite de ces trois noisettes, eh bien Daniel m’aime. »

Témoignage attrayant et souvent émouvant, Les Yeux de l’Orpheline aborde d’une manière tout à fait originale l’expérience du Lying et donne un aperçu « sur le vif » de l’enseignement de Svami Prajnanpad.

Colette Roumanoff dans Les yeux de l’orpheline

Une pièce musicale de Max Richter – Mercy 

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