Il était une fois une maison proprette aux portes, aux murs, au toit de sel. Elle resplendissait au soleil. Dans cette maisonnette en sel demeuraient un vieux tout en sel et une vieille toute en sucre. Tous deux s’aimaient passionnément, c’est dire qu’ils se disputaient avec une vigueur égale à la force de leurs mamours.
Or il advint qu’un mauvais jour ils se chamaillèrent si dur que le bonhomme tout en sel flanqua dehors la vieille en sucre. Elle partit, la pauvre, en pleurant, mais pas trop car ses belles joues risquaient de fondre sous les larmes. Elle se bâtit dans la forêt une vraie demeure de terre, mais elle y fut triste à mourir. Elle pensait à son vieux en sel, à leurs câlins fous sous la couette. Son chagrin, bientôt, fut si gros qu’elle se dit : « Je vais fondre en pleurs. » Que faire ? Elle implora le ciel, elle le pria, le supplia de verser des larmes à sa place. Alors il se mit à pleuvoir, à pleuvoir à verse et à seaux, à pleuvoir à n’en plus pouvoir. La maisonnette toute en sel se ramollit, rapetissa et partit en gouttes salées. Le vieux en sel, tout affolé, courut à la maison de terre de son épouse la sucrée.
– Ouvre-moi, femme, par pitié, la pluie me troue, je fonds, je coule !
– Tu m’as chassée, débrouille-toi ! cria-t-elle à travers la porte. Moi, je ne t’aime plus du tout !
Elle dit, mais ce n’était pas vrai. Elle ouvrit quand même à son vieux. Ils s’embrassèrent. Oh, mon amour ! La bouche de sel tout humide resta un bon moment collée à celle de la vieille en sucre. C’est ainsi que depuis ce jour, le vieux a une bouche en sucre et la vieille une bouche en sel. Chacun connaît le goût de l’autre. Leurs disputes ? Quelles disputes ? Ils ne savent plus que s’aimer.
Henri Gougaud (1936-2024) est écrivain, auteur de chansons, homme de radio, poète, chanteur français mais aussi occitan, pionnier du renouveau des contes. Et si les contes nous étaient aussi nécessaires que les arbres, les sources, les herbes, les maisons ? Ils nous accompagnent depuis que nous savons parler. Et que nous disent-ils, dans ce siècle bancal où nous devons réinventer notre façon de vivre ensemble ?
Henri Gougaud dans Contes et mystères du pays amoureux – Contes et mystères du pays amoureux
Une pièce musicale de L’Orbrie de Nuit
