Lîlâ

L’art, la poésie, la musique ne sont pas le yoga, ne sont pas plus en eux-mêmes des choses spirituelles que la philosophie ou la Science. Ici se dissimule une autre incapacité curieuse de l’intellect moderne – son impossibilité à établir la distinction entre le mental et l’esprit, sa promptitude à prendre les idéalismes mentaux, moraux et esthétiques pour de la spiritualité et leurs degrés inférieurs pour des valeurs spirituelles. La simple vérité est que les intuitions mentales du métaphysicien ou du poète sont pour la plupart loin d’atteindre le niveau d’une expérience spirituelle concrète ; ce sont des éclairs lointains, des reflets indistincts, non des rayons issus du centre de la Lumière. Il n’en est pas moins vrai que, vues des cimes, il n’y a pas beaucoup de différence entre les hautes éminences mentales et les modestes ascensions de cette existence extérieure. Toutes les énergies de la Lîlâ sont égales vues d’en haut, toutes sont des déguisements du Divin. Mais il faut ajouter que toutes peuvent devenir l’instrument d’un premier pas vers la réalisation du Divin. Un jugement philosophique sur l’Atman est une formule mentale et non une connaissance, ni une expérience ; pourtant, le Divin le prend parfois comme chenal d’accès ; curieusement, une barrière du mental s’effondre, une vision naît, un changement profond s’opère dans une partie intérieure, dans le fond de la nature pénètre quelque chose de calme, d’égal, d’ineffable. On se tient sur une crête de montagne et on entrevoit, on sent mentalement une ampleur qui pénètre tout, une Immensité ineffable dans la Nature ; alors tout à coup vient le contact, une révélation, un flot, le mental se perd dans le spirituel, on éprouve la première invasion de l’Infini. Ou vous êtes devant un temple de Kâlî près d’une rivière sacrée et que voyez-vous ? – une sculpture, une gracieuse pièce d’architecture, mais mystérieusement un moment plus tard, inattendue, s’impose à la place une Présence, un Pouvoir, un Visage qui regarde le vôtre, et votre regard intérieur a contemplé la Mère du Monde. Des contacts semblables peuvent venir par l’art, la musique, la poésie, à leur auteur ou à celui qui ressent le choc du mot, le sens caché d’une forme, le message d’un son qui porte plus de signification peut-être que le compositeur, consciemment, ne voulait y mettre. Toutes choses dans la Lîlâ peuvent devenir des fenêtres qui s’ouvrent sur la Réalité cachée.

Aurobindo Ghose ou Sri Aurobindo (1872-1950) est un des fondateurs du mouvement indépendantiste indien, philosophe, poète et écrivain spiritualiste. Il a développé une approche nouvelle du yoga, le yoga intégral.

Sri Aurobindo Extraits de correspondances à ses disciples

Une pièce musicale de Ben Leinbach – Horizon of Gold (The Spirit of Yoga)

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