
« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est l’un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir.
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Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait partie. »
En 1943, Simone Weil décrit le déracinement des conditions ouvrière, paysanne et coloniale. Cette condition est plus que jamais la nôtre, dans une époque où l’angoisse, économique, écologique ou existentielle, est une tonalité majeure. Pris·es en étau entre la négation de passé et l’absence de perspectives d’avenir, nous flottons, incertain·es, sur la mer de nos existences.
La poussée nationaliste est une des conséquences du déracinement. Elle pallie l’absence de communauté, de présent et d’avenir par une identité nationale hérissée de fils barbelés et figée dans un inquiétant purisme ethno-racial. La tâche d’assurer une consistance dans le temps et l’espace aux existences humaines a été intégralement déléguée à l’État, et l’entreprise hégémonique culturelle néofasciste nous enjoint de refaire racine autour de lui. Mais l’État-nation a été des siècles durant – et reste encore aujourd’hui – la principale force de déracinement. Déracinement intérieur par la destruction systématique de tous les pays, de toutes les cultures locales et vernaculaires écrasées par la construction de l’uniformité nationale. Déracinement extérieur par la violence de l’entreprise coloniale et sa sournoise poursuite actuelle.
« Depuis plusieurs siècles, les hommes de race blanche ont détruit du passé partout, stupidement, aveuglément, chez eux et hors de chez eux. » Simone Weil, L’enracinement,1949.
Les exemples sont innombrables. Si la nation suscite aujourd’hui de telles émotions, c’est qu’elle est la seule collectivité qui reste pour la plupart d’entre nous. Mais nous ne retrouverons pas dans l’unité nationale nos racines arrachées. Parce que la nation est la fiction historique dont use l’appareil bureaucratique et militaire du marché capitaliste pour détruire toute forme d’attachement. Sa consistance temporelle réside dans ses appareils de pouvoir et leur capacité d’exclusion – le reste n’est que folklore. Les nationalistes défendent un mode de vie réduit à quelques éléments marketing – baguette, saucisson et vin rouge – par une économie capitaliste dont ils encouragent pourtant le développement.
Nous avons besoin de former des collectivités nouvelles, qui ouvrent l’avenir parce qu’elles plongent leurs racines dans le passé. Mais chérir ce que les histoires enfouies nous ont légué ne signifie ni recréer à l’identique une tradition idéalisée ni défendre une nature figée.
Texte extrait du livre des Soulèvements de la terre – Premières secousses
Une pièce musicale de Tibz – Nation
Les paroles sur https://www.lacoccinelle.net/1239564-tibz-nation.html
