Aux portes du paradis

Avec les livres, c’était comme avec les gens, on ne pouvait jamais savoir à l’avance quel impact ils pourraient avoir sur le cours de nos vies. Tandis que certains ne feront que passer comme des ombres légères et fugaces sur notre réalité, d’autres nous marqueront et s imprimeront profondément en nous, tout en renversant à jamais notre perception des choses.

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Persans, Azéris, Baloutches, Gilakis, Mazandaranis, Lors, Arabes, Kurdes, Turcs, Arméniens, Assyriens, toutes les ethnies d’Iran combattaient côte à côte, réunis par un sentiment d’appartenance viscéral à la nouvelle nation iranienne, toute jeune nation islamique qui se retrouvait fortifiée dans lutte acharnée contre l’ennemi extérieur, l’ennemi commun irakien.

“La guerre est une aubaine”, aurait dit l’ayatollah Khomeiny, en parlant de ce conflit. Et de fait, les Iraniens se rassemblaient, toujours plus nombreux, et prenaient les armes pour défendre leur patrie et leur révolution, même s’ils ne se reconnaissaient pas tous dans le nouveau dogme autoritaire du pays, bien loin de là.

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Mets de la terre de ce sol sur ton index et trace sur ce mur ce que tu souhaites pour demain. Écris ton propre devenir, écris-le, mais prends bien garde à ce que tu demanderas car je te l’ai déjà dit, l’art de la graphie nous vient des démons vaincus. Et quoi que nous fassions, il y aura toujours un peu d’Ahriman, esprit des ombres, en nous lorsque nous manions le calame et la tablette d’argile. Il existe autant d’interprétations de ce qui est écrit qu’il y a de floraisons d’étoiles dans le grand ciel d’été, car le véritable visage de l’auteur se dérobe à nous derrière un épais et sombre voile alors même que nous le lisons. Certains livres ont fait couler, en leur nom, des rivières de sang et des torrents de larmes alors que si les mêmes phrases avaient été prononcées devant nous par son auteur, ardent prophète ou vieil illuminé, visage souriant ou face grimaçante, nous aurions juste éclaté de rire devant l’excellente blague du bougre ou simplement bousculé le pauvre diable qui nous aurait insulté. Car nous aurions alors instantanément et inconsciemment complété le vide entre les mots prononcés à l’aide d’une multiplicité de détails: le plissement d’un front, l’apparition d’un voile sur la pupille, un léger tremblement dans la voix, l’accentuation sur un mot, l’esquisse d’un demi-sourire, la flamme dans les gestes ou un souffle suspendu nous parleront toujours mieux qu’une simple phrase écrite. Mais voilà, notre soif d’immortalité nous enchaîne au roseau et, logogramme après logogramme, idéogramme après idéogramme, nous gravons notre histoire dans la terre humide sans nous apercevoir à aucun moment que le roseau est une pelle avec laquelle nous creusons en réalité notre propre tombe.

Marale Rostaing dans Aux portes du paradis

Une pièce musicale de Anahita Ramezani – Nook of Existence

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