Opinions et sentences mêlées

Si, d’après l’observation de Schopenhauer, il y a de la génialité dans le fait de se souvenir d’une façon coordonnée et vivante de ce qui vous est arrivé, dans l’aspiration à la connaissance de l’évolution historique – qui fait ressortir toujours plus puissamment les temps modernes sur les temps anciens et qui, pour la première fois a brisé les vieilles limites entre la nature et l’esprit, l’homme et la bête, la morale et la physique – on pourrait reconnaître une aspiration à la génialité dans l’ensemble de l’humanité. L’histoire imaginée complète serait de la conscience cosmique.

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Depuis trop longtemps la terre est un asile de fou.

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Seul devrait posséder celui qui a de l’esprit: autrement, la fortune est un danger public. Car celui qui possède, lorsqu’il ne s’entend pas à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera toujours à vouloir acquérir du bien: cette aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans la lutte avec l’ennui. C’est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait à l’homme intellectuel, se transforme en véritable richesse, résultat trompeur de dépendance et de pauvreté intellectuelles. Cependant, le riche apparaît tout autrement que pourrait le faire attendre son origine misérable, car il peut prendre le masque de la culture et de l’art: il peut acheter ce masque. Par là il éveille l’envie des plus pauvres et des illettrés – qui jalousent en somme toujours l’éducation et qui ne voient pas que celle-ci n’est qu’un masque – et il prépare ainsi peu à peu un bouleversement social : car la brutalité sous un vernis de luxe, la vantardise du comédien, par quoi le riche fait étalage de ses « jouissances de civilisé » évoquent, chez le pauvre, l’idée que l’argent seul importe, – tandis qu’en réalité, si l’argent importe quelque peu, l’esprit importe bien davantage.

Friedrich Nietzsche dans Opinions et sentences mêlées

Une pièce musicale de Secret Garden – Silent Wings

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