
Ici, ils pouvaient mieux contempler le ciel. Ils s’allongèrent par terre et firent des vœux aux étoiles filantes. La lune était absente et les constellations brillaient.
— Tu as déjà eu la sensation, à certains moments de ta vie, que quelqu’un te regardait ? demanda Paulo à Chris.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sais, c’est tout. C’est dans ces moments que, sans en avoir conscience, nous remarquons la présence des anges.
Chris se souvint de son adolescence. À cette époque, cette sensation était beaucoup plus forte.
— Dans ces moments-là, reprit-il, on se met à créer une sorte de film, dont on est le personnage principal, et à agir comme si quelqu’un nous surveillait.
» Mais au fur et à mesure qu’on grandit, on commence à trouver que c’est ridicule. Que ça ressemble au rêve d’un enfant désirant être acteur ou actrice de cinéma. On oublie que, quand on jouait pour une assemblée invisible, la sensation d’être vu était très forte.
Il resta silencieux un instant.
— Quand je regarde le ciel, cette sensation revient très souvent, et, avec elle, la même question : qui nous surveille ?
— Et qui nous surveille ? demanda-t‑elle.
— Des anges. Les messagers de Dieu.
Elle gardait les yeux rivés au ciel. Elle voulait y croire.
— Toutes les religions et toutes les personnes qui ont vu l’Extraordinaire parlent des anges, poursuivit Paulo. L’Univers est peuplé d’anges. Ce sont eux qui nous apportent l’espoir, comme celui qui a annoncé aux bergers qu’un messie était né. Ils apportent aussi la mort, comme l’ange exterminateur qui a parcouru l’Égypte et tué ceux qui n’avaient pas le signe sur leur porte. Ce sont eux qui peuvent nous refuser l’entrée du Paradis, avec leur épée de feu à la main. Ou bien ils peuvent nous y inviter, comme un ange l’a fait avec Marie.
» Les anges brisent les sceaux des livres interdits, font sonner les trompettes du Jugement dernier. Ils apportent la lumière, comme Michel, ou les ténèbres, comme Lucifer.
Chris s’arma de courage et posa une question :
— Est-ce qu’ils ont des ailes ?
— Je n’ai encore jamais vu d’ange. Mais moi aussi je voudrais le savoir. Et je l’ai demandé à J.
Super, se réjouit-elle. Elle n’était pas la seule à vouloir savoir des choses simples sur les anges.
— J. m’a expliqué qu’ils prennent la forme qu’on imagine. Parce qu’ils sont la pensée vive de Dieu, et qu’ils doivent s’adapter à notre sagesse et à notre compréhension. Ils savent que, sans ça, nous ne réussirions pas à les voir.
Paulo ferma les yeux.
— Imagine ton ange et tu sentiras sa présence, conclut-il.
Ils laissèrent le silence s’installer, allongés dans le désert. Ils n’entendaient aucun bruit, et Chris eut l’impression de replonger dans le film de son adolescence, quand elle jouait devant une assemblée invisible. Plus elle se concentrait, plus elle était sûre qu’il existait, autour d’elle, une présence forte, amicale et généreuse. Elle se mit à imaginer son ange gardien, exactement comme dans les gravures de son enfance : avec une tenue bleue, des cheveux dorés et d’immenses ailes blanches.
Paulo aussi imaginait son ange. Il avait déjà pénétré à de nombreuses reprises le monde invisible qui l’entourait, ce n’était donc pas une nouveauté pour lui. Mais désormais, depuis que J. lui avait confié cette mission, il sentait que son ange était bien plus présent – comme si les êtres angéliques se manifestaient seulement à ceux qui croient en leur existence. Même si, en dépit des croyances des uns et des autres, ils étaient toujours là – messagers de la vie, de la mort, de l’Enfer et du Paradis.
Il vêtit son ange d’une longue robe brodée d’or, et le dota d’ailes.
Paolo Coelho dans Les Valkyries
Une pièce musicale de Michael Gettel – Tekohananae (To The Morning)
