Égoïsme

EGOISME (terme de philosophie) : On appelle égoïste l’homme qui croit que lui seul existe au monde, le reste n’étant que songe.

A la grande honte de l’esprit humain, il y eut, à Paris, au début de ce siècle, un homme qui associa son nom à cette absurdité, un certain Gaspard Languenhaert, originaire de la république de Hollande. Il était si beau, dit-on, et si bien tourné que les femmes seules eussent suffi à assurer son succès à Paris, mais la philosophie était sa vraie maîtresse et il voulut s’illustrer par une doctrine. Teinté de philosophie anglaise, assez pour saisir les problèmes, trop peu pour les résoudre, il partait de quelques remarques acceptables, dont il tirait des conséquences invraisemblables. Ainsi, disait-il, soit que je m’élève jusque dans les nues, soit que je descende dans les abîmes, je ne sors point de moi-même, et ce n’est jamais que ma propre pensée que j’aperçois. Donc, le monde n’existe pas en soi, mais en moi. Donc, la vie n’est que mon rêve. Donc, je suis à moi seul toute la réalité …

*

Tous les esprits superficiels, amateurs de profondeurs obscures, applaudirent à tout rompre. Les imbéciles aussi, car ils n’avaient rien compris, manière dont se manifestait ordinairement à eux l’intelligence.

Quant aux sages, ils se turent, car on ne discute pas de ce qui n’a pas été prononcé par amour de la vérité, mais par désir de contredire.

Deux jours plus tard, on ne se souciait plus de ce qu’avait dit le jeune homme, mais on avait retenu qu’il l’avait assez bien dit. Il passa désormais pour un esprit brillant, c’est-à-dire qu’il eut le droit de dire n’importe quoi sans conséquences.

*

Ils arrivèrent au milieu de l’office. Le prêtre, à la chaire, se livrait à son sermon de remontrance devant une foule attentive, âmes simples qui buvaient leur rhétorique dominicale.

– Craignez Dieu, tonnait le prêtre, vous êtes noirs, vous êtes sales, le vice pourrit votre peau, les miasmes putrides de votre concupiscence montent jusqu’à moi, de vos mains coule le stupre.

Les braves pères et mères de famille, épuisés par le travail de toute une semaine, propres et endimanchés, raffolaient de la violence du prône; eux par ailleurs si sages et laborieux se réjouissaient de penser, une fois par semaine, qu’ils pouvaient être coupables, ou plutôt capables, d’un tel dévergondage. Au fond, ce n’était que dans le temps de la messe qu’ils commettaient le péché de chair, du moins en esprit. Vraiment, c’était là leur homélie préférée.

Éric-Emmanuel Schmitt dans La Secte des égoïstes

Une pièce musicale de Alexis Ffrench – Reborn

Laisser un commentaire