
L’étrange puissance de l’art combinatoire repose sur un fait très simple, bien illustré par une fameuse légende dans l’épique Livre des Rois de Ferdowsi, le plus grand poète persan. Le sage qui invente le jeu des échecs, Sissa ibn Dahir, en fait cadeau à un grand roi indien. Reconnaissant et plein d’admiration, celui-ci demande au sage la récompense qu’il désire. Sissa ibn Dahir répond : « Donne-moi un grain de blé pour la première case de l’échiquier, deux pour la deuxième, quatre pour la troisième et ainsi de suite en doublant la quantité jusqu’à la dernière case de l’échiquier. » Le roi, stupéfait par tant de modestie, ordonne que la requête soit immédiatement exaucée. Quelle n’est pas sa stupeur lorsque ses intendants lui réfèrent que tous les greniers du royaume ne suffisent pas à satisfaire cette demande !
*
Exhiber des personnes guéries, fût-ce en grand nombre, ne signifie absolument pas qu’une thérapie est efficace. Pour savoir si elle a un effet quelconque, il faut d’abord compter combien de fois elle a conduit à une amélioration et combien de fois elle n’a pas eu de résultats, et confronter ensuite ces données avec celles des malades non soignés, ou soignés avec d’autres méthodes. Si nous ne procédons pas ainsi, autant faire la danse de la pluie comme nos ancêtres préhistoriques: il y aura toujours des jours où il pleuvra après la danse, et nous pourrons présenter ces jours comme une démonstration de son efficacité.
*
Je n’aime pas ceux qui se comportent bien par peur de finir en enfer. Je préfère ceux qui se comportent bien parce qu’ils aiment bien se comporter. Je n’aime pas ceux qui sont bons pour plaire à Dieu. Je préfère ceux qui son bons parce qu’ils sont bons. Je n’aime pas respecter mes semblables parce qu’ils sont les fils de Dieu. J’aime les respecter parce que ce sont des êtres qui sentent et qui souffrent. Je n’aime pas celui qui se dédie à son prochain et cultive la justice en pensant plaire à Dieu ainsi. J’aime celui qui se dédie à son prochain parce qu’il éprouve de l’amour et de la compassion pour les autres.
Carlo Rovelli dans Écrits vagabonds
Une pièce musicale de Constantinople – Estuary | Estuaire
