
Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre.
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Mais pourquoi cette propension à rechercher le beau dans l’obscur se manifeste-t-elle avec tant de force chez les Orientaux … ?
Tout bien pesé, c’est parce que nous autres, Orientaux, nous cherchons à nous accommoder des limites qui nous sont imposées que nous nous sommes de tout temps contentés de notre condition présente; nous n’éprouvons par conséquent nulle répulsion à l’égard de ce qui est obscur, nous nous y résignons comme à l’inévitable : si la lumière est pauvre, eh bien, qu’elle le soit ! Mieux, nous nous enfonçons avec délice dans les ténèbres et nous leur découvrons une beauté qui leur est propre.
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Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu « la couleur des ténèbres à la lueur d’une flamme »? Elles sont faites d’une autre matière que celles des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d’une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Junichirô Tanizaki dans Éloge de l’ombre
Une pièce musicale de Lily Laskine · Jean-Pierre Rampal – Kojo no Tsuki (Moon Over the Ruined Castle)
