Ce qu’est le vrai enseignement (6)

La plupart des enfants sont curieux de nature ; ils veulent savoir ; mais leurs questions pressantes sont étouffées par nos assertions pompeuses, notre impatiente supériorité, notre façon négligente de faire taire leur curiosité. Nous n’encourageons pas leur désir de nous interroger, souvent nous redoutons leurs questions ; nous n’alimentons pas leur inquiétude, car nous avons nous-mêmes cessé d’explorer. La plupart des parents et des éducateurs redoutent le mécontentement des jeunes ; il jette le trouble là où était la sécurité. On encourage par conséquent les jeunes à réprimer cette tendance, grâce à un emploi sûr, un héritage, un mariage et la consolation d’un dogme religieux. Les aînés, ne connaissant que trop bien les différentes façons d’émousser l’esprit et le cœur, s’emploient à rendre leurs enfants aussi inertes qu’ils le sont eux-mêmes, en leur imposant les autorités, les traditions et les croyances qu’eux-mêmes ont acceptées. Ce n’est qu’en encourageant l’enfant à mettre en question tout ce qu’on lui donne à lire, à s’interroger sur la portée réelle des valeurs établies, des traditions, des formes de gouvernement, des croyances religieuses, etc., que l’éducateur et les parents pourront espérer éveiller et entretenir son sens critique et l’acuité de sa pénétration. Les jeunes, pour peu qu’ils soient vivants, sont pleins d’espoir et de mécontentement ; et ils doivent l’être, sans quoi ils seraient déjà vieux et morts. Et les vieux sont les révoltés du passé mais qui étouffèrent avec succès cette flamme en trouvant la sécurité et le confort d’une façon ou d’une autre, lis sont avides d’une permanence pour eux-mêmes et pour leur famille, ils désirent ardemment trouver une certitude dans quelque idéal, dans leurs relations, dans leurs possessions ; et dès l’instant, alors, qu’ils ressentent ce mécontentement intérieur, ils s’absorbent dans leurs responsabilités, dans leurs occupations, ou dans n’importe quoi, en vue d’échapper à ce trouble si gênant. C’est le temps de la jeunesse qui est celui du mécontentement ; celui où nous ne sommes satisfaits ni de nous-mêmes ni du monde qui nous entoure.

Nous devrions apprendre à penser clairement et sans détours, de façon à n’être, intérieurement, ni soumis ni craintifs. L’indépendance n’est pas pour cette section colorée de la mappemonde que nous appelons notre pays, mais pour nous-mêmes en tant qu’individus ; et, bien que nous soyons extérieurement dépendants les uns des autres, cette mutuelle dépendance ne devient pas cruelle et oppressive si nous sommes, intérieurement, affranchis du désir d’acquérir du pouvoir, de l’autorité, une situation. Il nous faut comprendre le vrai mécontentement, que la plupart d’entre nous redoutent. Ce mécontentement pourrait causer un apparent désordre. Mais s’il conduit, ainsi qu’il devrait le faire, à la connaissance de soi et à l’abnégation, il est susceptible de créer un nouvel ordre social et une paix durable. Avec l’abnégation survient une joie immense. Le mécontentement est la voie de la liberté ; mais afin de pouvoir enquêter sans détours sur la vérité, l’on doit éliminer toutes ces diversions émotionnelles qui si souvent prennent la forme de réunions politiques, de slogans, de cris répétés, de recherches de gourous, de soumissions à des guides spirituels, d’orgies religieuses de toutes sortes. Ces évasions émoussent l’esprit et le cœur. Elles nous retirent tout discernement, de sorte que nous nous laissons aisément façonner par les circonstances et par la peur. C’est l’ardente investigation et non l’imitation facile de la multitude qui engendrera une nouvelle compréhension de la vie. Les jeunes se laissent entraîner si vite par le prêtre ou le politicien, par le riche ou le pauvre, à penser d’une certaine façon! Mais un enseignement approprié devrait les aider à se méfier de ces influences et à éviter de répéter des mots d’ordre à la façon de perroquets ou de tomber dans les pièges de l’avidité, fût-elle la leur ou celle d’autrui. Ils ne doivent pas permettre à l’autorité de paralyser leurs esprits et leurs cœurs. Se mettre à la remorque d’une personnalité, quelque forte qu’elle soit, ou se laisser attirer par une idéologie, ce ne sont pas là les moyens de créer un monde paisible. Lorsque nous quittons le collège ou l’université, nous mettons en général nos livres de côté et pensons en avoir fini avec l’instruction. Certains, au contraire, se sentant stimulés et désirant agrandir le champ de leur pensée, continuent à lire et à absorber ce que d’autres ont dit et s’adonnent à la connaissance.

Jiddu Krishnamurti dans Ce qu’est le vrai enseignement

Une pièce musicale de andré Gagnon – Cinema Paradiso

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