Quelque chose devant

Ma vie ne tient qu’au fil ténu des mots, timides ou fracassants, vibrants, sincères et vivants. Ce sont les miens, les vôtres, écrits, parlés, sous-entendus, nourris à la douceur, à la colère aussi c’est bien, lorsqu’elle est nécessaire… et au baba au rhum des cœurs. Un fil d’argent nous reliant, belles agates de vos regards aimants, compatissants, avec nos voix s’entrecroisant dans la solaire connivence. Oui, l’amitié est un travail d’orfèvre dont chaque souffle, même le plus petit, est un outil de précision.

Ma vie ne tient qu’au fil ténu des mots, les miens, les vôtres, dont je remonte le courant, comme un saumon, l’œil rond, happant les bulles de lumière, cherchant la source et la clarté de la pure et première intention.

Je me souviens aussi de toutes vos expressions, muettes, attentionnées, hésitantes, qui valent bien tous les discours. Le corps aussi a son langage. En saisir les nuances c’est comme déchiffrer l’illisible jargon qui barbouille nos yeux et nos âmes et fait trembler nos mains, nos lèvres, submergées d’émotions.

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N’être plus rien c’est quelque chose. Être aérien, c’est moins que rien, diront en se gaussant les pieds de plomb. Et pourtant, c’est là, que de tout l’espace tu disposes. Le corps est l’ancre, le lest, la cage de ton âme. Nul ne te demande de t’en débarrasser, mais ne lui accorde que l’importance qu’il mérite… et surtout laisse l’esprit le plus souvent s’en échapper. Ce n’est pas fuir que s’élever, c’est voir de haut ce qui est trop près. C’est oublier ce qu’on était, quitter les lourdes fièvres de la peur et concevoir en un éclair ce cœur universel qui pulse et bat vers l’au-delà.

Si la Terre appartient aux Hommes, c’est à eux qu’il revient d’oser apercevoir, sans logique ni preuve, d’où ils viennent, où ils vont… et libres, à l’intuition, comme à tâtons, de se laisser guider par des cascades de lumières. Que puis-je vous dire de plus ? Rien, si ce n’est légers, de sillonner le ciel comme un vol d’hirondelles.

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Tant que j’aurai un brin de vie, je frapperai pourtant aux portes des secrets. Nous attendrons avec patience que se dissipent les ténèbres, échos de nos terreurs. Il y aura bien l’instant où se déchirent les nuages et où s’effondrent nos mirages, laissant enfin passer la très pure Lumière d’un autre Monde révélé.

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Il faut savoir parler aux âmes avant que de toucher l’esprit.

Alain Cadéo (1951-2024) fut l’auteur de nombreux ouvrages (nouvelles, romans, textes, pièces de théâtre), dont « Stanislas » (1983), premier prix Marcel Pagnol 1983 ou encore Macadam Épitaphe (1986), Plume d’Or Antibes et Prix Gilbert Dupé.

Alain Cadéo dans Il y a quelque chose encore, devant: Je ne sais pas ce que c’est, mais nous devons y aller

Une pièce musicale de Omar Akram Passage Of Time