La nostalgie heureuse

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Il n’y a pas que du mal à dire au sujet de la gêne. La langue le prouve: il n’est pire individu qu’un sans-gêne. La gêne est un étrange défaut du centre de gravité: n’est capable de l’éprouver qu’une personne dont le noyau est demeuré flottant. Les êtres solidement centrés ne comprennent pas de quoi il s’agit. La gêne suppose une hypertrophie de la perception de l’autre, d’où la politesse des gens gênés, qui ne vivent qu’en fonction d’autrui. Le paradoxe de la gêne est qu’elle crée un malaise à partir de la déférence que l’autre inspire.

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« Natsukashii » désigne la nostalgie heureuse, répond-elle, l’instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l’emplit de douceur. Vos traits et votre voix signifiaient votre chagrin, il s’agissait donc de nostalgie triste, qui n’est pas une notion japonaise.

A la question de savoir si la Madeleine de Proust est nostalgique ou « Natsukashii », elle penche pour la deuxième option. Proust est un auteur nippon.

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Si le temps mesure quelque chose chez un être humain, ce sont les blessures.

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Le plus fou, poursuit-il, c’est qu’à un kilomètre de la centrale de Fukushima, le long du rivage, on vient de déblayer une stèle vieille de mille ans. En japonais ancien, il y est écrit : « Ne bâtissez ici rien d’important. Ces lieux seront ravagés par un tsunami gigantesque. » On n’en a pas tenu compte, hélas. Or, avant d’être renversé par la catastrophe, cet avertissement du passé était bien visible et lisible de tous.

Amélie Nothomb dans La nostalgie heureuse

Une pièce musicale de Hans Zimmer avec Lisa Gerrard et Moya Brennan – Sorrow