Le malheur m’a aidé

Les marches du parfum

Je ne peux m’empêcher d’aimer ce que je vois :

la beauté est partout où mon regard se pose

lorsque le ciel n’est plus que la pourpre du cœur.

Je regarde monter l’encens de ma pensée,

comme ce feu subtil qui entoure les roses.

L’ivresse la plus grande est la lucidité.

Les anges font brûler du parfum dans les fleurs,

je suis plus désarmée que si j’allais mourir.

Les roses ont transformé ma douleur en parfum,

et mon cœur consumé sur le bûcher des roses :

les roses m’ont toujours aimée comme une sœur.

Je marche sous le ciel brûlant de la pensée,

je gravis une à une les marches du parfum,

non pas proche de Dieu mais divine moi-même.

*

Chagrin céleste

Le bonheur est venu quand l’espoir est parti,

ce bonheur éclatant proche du désespoir,

et puisque la beauté chaque soir agonise

l’aurore approfondie dans la pourpre du soir.

Le chagrin pour moi seule a la couleur des roses,

ce bonheur découvert à force de tristesse,

ce céleste chagrin qui vient avec la joie,

ce doux moment passé auprès de la tristesse

et le lieu adorable où nous avons souffert.

La lune s’asseyait doucement près de moi,

la nuit était niée par le parfum des roses

et cette adoration où me laisse mon mal.

Je suis désespérée d’atteindre le bonheur :

mon bonheur a touché le fond du désespoir.

*

La couleur de l’esprit

J’ai aimé plus que toute la tristesse du soir,

la beauté qui passait ses soirées dans le ciel,

la pourpre qui traînait dans le ciel chaque soir,

le jour éliminé par la couleur du soir.

Le couchant donne à toute la couleur de l’esprit,

cet ambre que le soir travaille à nous donner,

cette liqueur dorée versée par la pensée

quand la beauté nous aide à tenir jusqu’au soir.

Ce qu’on voit de divin dans le monde nous sauve,

ce que l’odeur des roses arrive à nous donner

quand le parfum des roses arrive à nous trouver.

*

Le malheur m’a aidé

J’ai appris à penser en regardant l’aurore,

j’ai appris à aimer en admirant les roses.

La beauté de l’aurore a formé ma pensée,

les anges ont préparé mon âme à la beauté,

mon âme inaugurée par le bleu de l’azur.

Le ciel me demandait mon avis sur les roses,

l’azur me consultait au sujet du lilas.

L’amour élucidait le mystère des roses,

la joie me traduisait la pensée de l’azur.

Le malheur m’a aidée à comprendre l’azur,

le malheur a rendu mon cœur intelligent.

Lydie Dattas (1949- ) est une écrivaine française.

Lydie Dattas dans Le livre des anges

Une pièce musicale de Tigran Hamasyan – Areg and Manushak (Path of No Return unplugged concert)