Le triomphe de la bêtise

L’évolution des sciences et des techniques apporte aujourd’hui plus d’inquiétude que de confort, les libertés publiques cèdent sous la pression d’un marché sans pitié, le droit recule devant la force ou le fait accompli, nos démocraties marchandes se sclérosent en démocratie formelle où le citoyen électeur est d’abord consommateur, la pauvreté résiste à la « croissance économique » comme la cruauté à la morale ou les bactéries aux antibiotiques. La plupart de nos contemporains craignent que leurs enfants vivent moins bien qu’ils n’ont vécu eux-mêmes, dans un monde plus difficile.

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Ce n’est pas seulement que tout évolue et qu’une irrépressible nostalgie nous incite à regretter le passé, mais que, au-delà des formes, quelque chose de qualitatif ou de structurel se dégrade et se perd. À mesure que le temps passe, nous voyons triompher non seulement la cupidité qu’exige l’économisme et qu’encourage une propension à l’égoïsme, mais aussi et surtout une dégradation de la pensée, du langage, du jugement, l’enlaidissement des villes, des campagnes, des gens, l’avachissement des mœurs, une platitude croissante des œuvres de l’esprit, évolution permise par l’ignorance, le conformisme, l’absence de goût, de critères, d’imagination, la médiocrité des talents, tout ce qui fait la bêtise, bêtise des individus, plus nombreux et plus puissants, surtout si une démocratie quantitative leur accorde du pouvoir, mais surtout bêtise de dirigeants incultes, ignorants de leur histoire et de leur propre culture, enfants de la télévision et de la publicité, privés de références, plongés dans le court terme ou l’immédiat, dans l’impulsif ou dans l’aveugle. Tous cèdent à la bêtise non comme à une faiblesse, telle que la gourmandise ou la paresse, mais comme à une puissance tellurique, quasi téléologique, qui explique les phénomènes de stupidité contingente par une finalité, aussi stupide en sa fin qu’en ses moyens et qu’en leurs rapports, bêtise érigée en loi, aussi objective, aussi impérieuse que celle de la gravitation, bêtise “systémique”, selon Bernard Stiegler, qui contamine donc l’ensemble du système dans toutes ses parties sans épargner un seul élément, par une sorte de mystérieuse capillarité. Il y a en effet dans la bêtise quelque chose d’épidémique, de contaminant, d’exponentiel, qui appelle l’imitation, la répétition, l’amplification, l’obstination. C’est une force qui manque à la subtilité.

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L’intelligence est redevenue subversive.

Armand Farrachi dans Le triomphe de la bêtise

Une pièce musicale de Plume – Le blues de la bêtise humaine

Les paroles sur https://genius.com/Plume-latraverse-le-blues-de-la-betise-humaine-lyrics