Conscience et dissociation

Tout ce qui est à notre portée, c’est de contribuer à l’évolution et à la métamorphose d’individus qui auront ou qui se créeront l’occasion d’avoir, à leur tour et à leur échelon, une influence éclairante sur des êtres de la même famille d’esprit. Quand j’emploie l’expression « avoir une influence », je ne veux dire ni convaincre ni faire du préchi-précha, mais je fais allusion au fait d’expérience que quiconque a pris conscience de ses motivations vraies et s’est ouvert ainsi une voie vers l’inconscient, exerce, même sans en avoir la moindre intention, un effet sur son entourage. L’approfondissement et l’élargissement de la conscience crée cette efficacité que les primitifs appellent « mana ». Le mana est une influence involontaire sur l’inconscient d’autrui, en quelque sorte un prestige inconscient qui, toutefois, ne garde son efficacité que tant qu’il n’est pas perturbé dans sa spontanéité par des intentions secondes.

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L’homme qui n’est pas ancré dans le divin n’est pas en état de résister, par la seule vertu de son opinion personnelle, à la puissance physique et morale qui émane du monde extérieur. Pour s’affirmer en face de ce dernier, l’homme a besoin de l’évidence de son expérience intérieure, de son vécu transcendant, qui seuls peuvent lui épargner l’inévitable glissement dans la masse collective.

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La conscience de l’homme d’aujourd’hui colle encore tellement à l’objet extérieur qu’il rend ce dernier exclusivement responsable, comme si c’était des objets que dépendent les décisions.

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Chaque fois qu’une fonction naturelle à l’homme se perd, c’est-à-dire se trouve exclue de son exercice conscient et volontaire, un trouble général prend naissance. C’est pourquoi il est tout à fait naturel que le triomphe de la déesse Raison ait institué une névrotisation générale de l’homme moderne, c’est-à-dire une dissociation de la personnalité en tous points analogue à la dissociation actuelle du monde.

Carl Gustav Jung (1875-1961) est un médecin, psychiatre, psychologue et essayiste suisse.

Carl Gustav Jung dans Présent et avenir

Une pièce musicale de Mahler: Adagietto Symphony 5 – Karajan