La voie et ses pièges

La vraie aventure de votre existence n’est pas une aventure entre vous et l’homme ou la femme qui vous aime ou qui vous trahit, entre vous et votre réussite ou votre échec professionnel, entre vous et vos enfants, c’est entre vous pure conscience et toutes ces « formes » que font naître en vous vos perceptions et vos conceptions fondées sur la dualité de l’attraction et de la répulsion. Ces paires d’opposés, vous pouvez d’abord les comprendre comme extérieures : succès, échec; blâme, louange; admiration, mépris; amour qu’on vous témoigne, hostilité dont on vous accable. Mais vous pouvez aussi les considérer comme intérieures : espérance, désespoir; sérénité, angoisse. Notre expérience, à chaque instant, a toujours comporté un contraire, toujours. Tout bonheur est l’envers d’un malheur, toute réussite est l’envers d’un échec. Tous nos états d’âme et nos états d’esprit sereins n’ont jamais été que l’autre face de la souffrance. On me loue et on m’admire, on me critique et on me méprise, on m’aime, on me rejette. Et ce jeu des contraires, vous le vivez intérieurement comme bonheur-souffrance, espérance-désespoir et ainsi de suite. Pouvez-vous entrevoir un état complètement heureux qui ne serait pas le bonheur opposé au malheur, la joie opposée à la peine?

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Il existe une possibilité d’accès expérimental à la réalité ultime et c’est bien là le but du chemin, non comme un discours philosophique mais comme un éveil, une certitude vécue, qui bouleverse jusqu’à la racine la conscience habituelle. Ne l’oubliez jamais.

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La loi de la différence est inexorable et seule cette profonde et réelle acceptation d’une vraie dualité peut vous faire progresser. Car il y a moi – je ne peux pas le nier, et il ne sert à rien de le nier prématurément – avec tous les souvenirs du passé encore vivants dans mon inconscient, toutes les empreintes qui font ma subjectivité, le milieu dans lequel j’ai grandi, les exemples qui m’ont frappé, les idées qui m’ont été imposées par mes éducateurs et que j’ai fini par reprendre à mon compte, ma vision personnelle du monde. Je suis là avec tous les personnages qui me composent, tout ce qu’on appelle techniquement samskaras, les impressions qui m’ont marqué, et vasanas, les pulsions qui crient en moi : je n’ai pas vécu, je n’ai pas expérimenté, je n’ai pas connu. Dans quelle mesure l’autre, c’est-à-dire le monde que nous considérons aujourd’hui comme extérieur à nous, va-t-il me permettre, à chaque instant et comme je l’entends, de faire ce que je veux faire, de donner ce que je veux donner, de recevoir ce que je veux recevoir?

Arnaud Desjardins dans La voie et ses pièges

Une pièce musicale de Diane Arkenstone – Elements of Nature