Les murs

Inévitablement, les âmes affamées et les mains en colère se lèvent contre ce géant amoral, et des murs d’armements toujours plus hauts sont nécessaires pour les tenir en respect. Ces murs créent parmi nous une énorme classe que Jacques Attali appelle « les vaincus du changement de siècle », pour laquelle la lubie de la prospérité promue par les médias est à la fois une séduction continuelle et une forclusion perpétuelle. Le chant des sirènes les appelle vers Paris ou New York, scintillantes cités d’Émeraude, emmurées par leur inaccessibilité. Dans son ouvrage de 1990, Lignes d’horizon, Attali observe avec une prescience glaçante que parmi les populations du Moyen-Orient en particulier, qui ont souffert d’humiliations répétées de la part de l’Occident, l’absence – d’autant plus criante qu’elle est exacerbée par une imagerie omniprésente – de biens matériels tend à inspirer de fervents cultes de frustration et de fureur.

Cet on ne sait trop quoi qui n’aime pas un mur,

Qui le veut détruit…

Nous qui sommes vivants en ce moment, nous n’avons pas construit ces murs, nous n’avons pas non plus allumé la furie qui couve depuis des lustres et se déverse à présent sur nous comme une question brûlante. Mais nous avons hérité de la nécessité pressante d’y répondre. Et peut-être bien que nous y arriverons.

Ce n’est pas seulement la rage folle des dépossédés qui brûle contre ces murs. C’est également, de l’intérieur de la maison des privilèges, l’indignation des enfants de miséricorde qui se couchent dans les rues de Seattle afin d’amener l’autocratie de l’Organisation mondiale du commerce à cesser leurs agissements. Ce sont les cœurs troublés de ceux qui se sont rassemblés à Ground Zero dans Manhattan et ont supplié que soit mis fin aux charniers. C’est à coup sûr l’âme animale de chacun, et le code ADN que partage parfaitement toute paire d’individus de l’espèce humaine – une vérité génétique interne à nos cellules, qui ne cesse de bondir d’un continent à l’autre. Ce code insiste sur ma parenté avec à la fois l’invité élégant et l’enfant aux jambes arquées, avec le nomade Lori et même, peut-être, avec l’ourse. Les coqs donnent du lait ici, les ours pondent des œufs. Le lion pourrait se coucher avec l’agneau. Une vague de fond, imperceptible à nos sens, sous le sol glacé qui se soulève et se tord, défiant le monde de démanteler ces murs d’inimitié et d’en utiliser les pierres pour construire des fours à pain. Ce serait la mort de quelque chose et la vie de quelque chose. Quelque part, il doit y avoir un passage. Sinon il ne nous reste plus qu’à construire des murs toujours plus hauts, et plus ils s’élèveront, plus la chute sera rude. Il est difficile d’imaginer un temps plus effrayant que celui-ci.

Je sais, quelqu’un a déjà dit cela. Les gens l’ont dit il y a une centaine d’années, et ils l’ont répété à peu près chaque minute qui s’est écoulée depuis.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 qui ont endeuillé les Etats-Unis, la romancière a été sollicitée pour partager ses émotions et ses réflexions.

Barbara Kingsolver dans Petit Miracle Et Autres Essais

Une pièce musicale de Francis Cabrel – tout le monde y pense

Les paroles sur https://www.lacoccinelle.net/964878.html