Chanter l’instant

Pendant des années, j’allais toutes les semaines au Louvre pour puiser dans la beauté un remède à toutes les errances. J’aimais revenir à cette certitude : nous ne sommes pas seulement héritiers de guerres ancestrales mais aussi enfants du sublime. Je n’y allais donc pas seulement pour avoir la joie de me laisser surprendre par une œuvre, par désir de parfaire ma culture, pour me réconcilier avec la nature humaine, mais pour revenir encore et encore devant La mort de Sardanapale de Delacroix. 

Cette scène terrible m’emplissait de joie. Pourquoi ? Mystère. Sa capitale assiégée, le souverain décide de se suicider après avoir tué ses esclaves, ses favorites, ses chevaux, ses chiens et brûlé sa ville. Rien de ce qui lui a donné de la joie ne doit lui survivre. Allongé sur son lit, il contemple la destruction de sa vie. Un corps de femme presque nu gît en lumière près de lui. Effroi et beauté. Là, sous nos yeux, le sublime. Un sublime qui dit la vanité de tout ce que l’on cherche à posséder. Au seuil de la mort, ne reste que ce regard grave dans un corps relâché qui a consenti à son destin. Je cherchais des raisons à cette fascination. En faisant cela, j’insultais l’œuvre. L’art se passe d’explication, de justification, c’est un saisissement. C’est là. Et c’est tout. On n’admire pas, on se recueille. Car la part divine de l’homme se donne à voir. 

L’art, une joie douloureuse ? Oui, car le cœur fond littéralement, sans barrière, sans garde-fou. Les gardes des musées de Florence sont formés pour intervenir auprès des visiteurs qui pourraient être victimes du syndrome de Stendhal. Dans cette ville où la beauté s’invite à chaque coin de rue, l’écrivain fut victime d’un malaise : « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. » Quand la joie est trop forte, le corps lâche. Le bruit qu’il fait en tombant est un réveil. 

Un parcours informel, poétique et riche sur les chemins de traverses de la joie  » Il est temps d’avancer sur une terre sans balise où seule s’impose la loi de l’univers, exigeante, puissante et sublime. Il est temps de sortir de notre désespoir tranquille et d’ouvrir les bras à tous les possibles, c’est-à-dire à l’inconnu, à notre grandeur, au merveilleux.  » Le petit dictionnaire de Blanche de Richemont regorge de joies simples qui nous attendent au détour du chemin. 
De Absolu à Zéro, en passant entre autres par Chanter, Épreuve, Gourmandise, Hasard, Lâcher-prise, Nudité, Révolte, Sensualité, Vin, Yeux, de nombreuses références culturelles, philosophiques et spirituelles portent le livre, complétées par des citations et les expériences personnelles de l’auteure. Cet ouvrage a un projet humble et immense : il sème des graines, comme des pistes à explorer, pour que la joie ne reste pas cachée. ? Un livre plein d’élan et de poésie, qui se butine avec bonheur. 

Blanche de Richemont dans Petit dictionnaire de la joie – Chanter l’instant 

Une pièce musicale UNE NUIT AU LOUVRE (7/14) | Jean de Sainte Colombe – Suite en sol