S’attacher à un chien ?

À chaque jour suffit amplement le chagrin

Que vaut à tous les hommes leur amour du prochain;

Pourquoi donc en dépit de cette certitude

Voulons-nous ajouter à notre servitude?

Croyez-moi, ça ne mène à rien

De trop s’attacher à un chien.

Acheter un chiot vous rend propriétaire

D’un amour absolu parfaitement sincère

Une passion totale. Vous payez votre dette

D’un coup de pieds dans les côtes, d’une caresse sur la tête

Pourtant ce n’est vraiment pas bien

De trop s’attacher à un chien.

Quand l’asthme ou la tumeur, ou le spasme clôture

Le laps de quatorze ans qu’accorde la nature,

Que le vétérinaire tacitement prescrit

La piqûre mortelle ou le coup de fusil,

Vous sentez la force des liens

Qui vous attachaient à ce chien.

Lorsqu’à jamais se taisent les abois d’amitié

De celui qui faisait vos quatre volontés,

Lorsque vous abandonne définitivement

Celui qui partageait votre humeur du moment,

Vous recommencez néanmoins

De vous attacher à un chien.

Nous avons largement notre part de chagrin

Quand il s’agit de mettre en terre notre prochain,

L’amour n’est pas donné, mais prêté seulement:

L’intérêt composé se monte à cent pour cent.

La douleur que cause la mort d’un être aimé

N’est pas fonction du temps passé à ses côtés;

Lorsque vient le moment de payer l’échéance,

La durée de l’emprunt a bien peu d’importance.

Quand renoncerons-nous enfin

À nous attacher à un chien ?

Rudyard Kipling dans Actions et réactions

Une pièce musicale de Renaud – Dieu reconnaîtra les chiens

Les paroles sont dans la vidéo