Ce qu’est le vrai enseignement (5)

La conformité et l’obéissance n’ont aucune place dans une éducation vraie. La coopération entre le maître et l’élève est impossible s’il n’existe pas une affection réciproque, un mutuel respect. Lorsque les signes du respect pour ses aînés sont exigés de l’enfant, ils deviennent en général une simple habitude, une série de gestes purement extérieurs et la peur assume l’aspect de la vénération. Sans respect et considération pour autrui, il n’y a pas de relation vivante possible, surtout lorsque le maître n’est que l’instrument de son propre savoir. Si le maître exige le respect de ses élèves et en a très peu pour eux, cela provoquera évidemment de l’indifférence et un manque de déférence. Si l’on n’a pas d’égards pour la vie humaine, le savoir ne conduit qu’à la destruction et à la misère. La culture du respect pour autrui est un élément essentiel de l’éducation, mais si l’éducateur ne possède pas lui-même cette qualité, il ne peut pas aider ses élèves à atteindre une vie intégrée. L’intelligence est la perception de l’essentiel, et pour discerner l’essentiel il faut être libre des obstacles que projette l’esprit à la recherche de sa propre sécurité et de son confort. La peur est inévitable tant que l’esprit est à la recherche d’une sécurité ; et lorsque les êtres humains sont enrégimentés sous quelque forme que ce soit, l’acuité de l’esprit et l’intelligence sont détruites. Le but de l’éducation est d’établir des rapports intelligents, non seulement entre un individu et l’autre, mais aussi entre l’individu et la société en général ; et c’est pourquoi il est essentiel que l’éducation, d’abord et surtout, aide à la fois le maître et l’élève à comprendre leurs propres processus psychologiques. L’intelligence consiste à se comprendre, et à aller au-dessus et au delà de soi-même ; mais il ne peut pas y avoir d’intelligence tant que subsiste la peur, laquelle pervertit l’intelligence et est une des causes de l’action égocentrique. La discipline peut refouler la peur, mais ne la déracine pas, et les connaissances superficielles que nous dispense l’instruction moderne ne font que l’enfoncer en nous plus profondément. Au cours de notre jeunesse, dans la plupart de nos foyers et de nos écoles, on nous instille la peur. Ni les parents ni les maîtres n’ont la patience, le temps ou la sagesse de dissiper les craintes instinctives de l’enfance, lesquelles, au fur et à mesure que nous grandissons, dominent notre comportement et notre jugement, et créent un grand nombre de problèmes. L’enseignement dont je parle doit prendre en considération cette question, car la peur pervertit toute notre notion de l’existence. Être affranchi de la peur est le commencement de la sagesse, et une éducation digne de ce nom provoque en nous cette libération qui, seule, peut éveiller une intelligence assez profonde pour être créatrice. La récompense ou la punition pour une action quelle qu’elle soit, ne fait que renforcer l’égocentrisme. Agir pour le compte et dans l’intérêt d’autrui, au nom de la patrie ou de Dieu, conduit à la peur, et la peur ne peut pas être à la base d’une action juste. Si nous voulons aider un enfant à avoir des égards pour les autres, nous ne devons pas le soudoyer en invoquant l’amour, mais lui expliquer ce qu’est le respect d’autrui, en y mettant la patience et le temps qu’il faut.

Jiddu Krishnamurti dans Ce qu’est le vrai enseignement

Une pièce musicale de Ludovico Einaudi – Experience