
La découverte de la communauté de destin homme/nature donne responsabilité tellurique à l’homme. Dès lors, il lui faut radicalement abandonner le projet conquérant formulé par Descartes, Buffon, Marx. Non plus dominer la terre, mais soigner la Terre malade, l’habiter, l’aménager, la cultiver.
L’humanité doit élaborer la co-régulation de la biosphère terrestre. Certes, elle dispose de pouvoirs considérables, et qui s’accroîtront; mais il s’agit de devenir non le pilote, mais le co-pilote de la terre. Le double pilotage s’impose: l’homme/nature; technologie/écologie; intelligence consciente/intelligence inconsciente… La Terre doit commander par la vie, l’homme doit commander par la conscience.
Sortir de l’âge de fer planétaire, sauver l’humanité, co-piloter la biosphère, civiliser la Terre sont quatre termes liés en boucle récursive, chacun étant nécessaire aux trois autres. L’agonie planétaire deviendrait alors gestion pour une nouvelle naissance: nous pourrions passer de l’espèce humaine à l’humanité. C’est pour et sur l’humanité terrestre que la politique pourrait effectuer un nouvel acte fondateur. La lutte contre la mort de l’espèce humaine et la lutte pour la naissance de l’humanité sont la même lutte.
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L’écologie de l’action nous dit à la fois que de bonnes intentions peuvent aboutir à des effets détestables et de mauvaises intentions peuvent produire d’excellents effets, du moins dans l’immédiat (comme, par exemple, lorsque l’échec à Moscou du putsch restaurateur de 1991 permit d’abolir la dictature du parti communiste). donc, il faut également dialectiser le problème de la fin et des moyens, c’est-à-dire refuser de donner à l’un des termes lune domination certaine sur l’autre.
L’écologie de l’action semble devoir inviter à l’inaction, en fonction de trois considérations: a) l’effet pervers (l’effet néfaste inattendu est plus important que l’effet bénéfique espéré); b) l’inanité de l’innovation (plus ça change, plus c’est la même chose), c) la mise en péril des acquis obtenus (on veut améliorer la société, mais on ne réussit qu’à supprimer des libertés et des sécurités). Il faut certes tenir compte de ces trois considérations, qui ne sont vérifiés de façon terrifiante dans la révolution bolchevique et ses suites. Mais elles n’ont pas valeur de certitude déterministe, et d’autre part l’absence d’innovation peut laisser libre cours aux processus de dépérissement, pourrissement, dégradation, et, de ce fait, être mortelle.
L’écologie de l’action nous invite donc non pas à l’inaction, mais au pari qui reconnaît ses risques, et à la stratégie qui permet de modifier, voir d’annuler l’action entreprise. L’écologie de l’action nous incite à une dialectique entre l’idéel et le réel.
Edgar Morin dans Terre-Patrie
Une pièce musicale de Claude Debussy : Clair de lune | Menahem Pressler
