Comme l’eau qui jaillit

Depuis ma tendre enfance, je m’arrête toujours devant un jet d’eau, parce que pour moi c’est le miroir de la vie. Les êtres vivants – le prix Nobel Ilya Prigogine l’a démontré – sont des structures dissipatives et des processus instables : c’est ce qu’un jet d’eau représente. Remarquez que cette structure souple, variable, instable, est tout de même stable un certain temps. Mais dès qu’on arrête la pression, il n’y a plus de structure, il n’y a plus de jet d’eau. Ainsi en est-il de la vie.

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La dernière phrase de mon livre, Dieu ne joue pas aux dés dit : « J’ai l’impression, quand je vois un jet d’eau, que c’est un miroir de ce que nous sommes. » La plus belle femme au monde ne sera jamais aussi belle qu’un jet d’eau !

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Admettons donc le caractère suspect de ce qu’on appelle la beauté. La beauté, pour chacun, est, d’une part, liée à son apprentissage et, d’autre part, liée à la structure de son cerveau… Mais la structure du cerveau est, elle aussi, liée à l’apprentissage !

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Une chose qu’on n’a jamais prise en compte, c’est la façon dont fonctionne l’instrument qui nous permet d’être en relation avec les autres, le cerveau humain. Ça part des particules élémentaires, de la molécule, du gène, des neurones, jusqu’à un comportement.

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Alors, mon « pari » ? Peut-être arrivera-t-on un jour à répandre ces notions. Comment fonctionne votre cerveau et celui du copain d’en face, de façon à comprendre qu’il n’est pas libre, et vous non plus…

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Peut-être que l’Homme est une impasse! Non, je ne pense pas qu’il soit une impasse; il suffirait de pas grand-chose ! Il suffirait qu’il n’y ait plus d’hommes politiques. Mais oui ! Ce sont des grands sauriens, ils sont encore à l’époque secondaire, et tout le monde les croit ! Alors que ce sont des dinosaures !

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Mais j’ai été toujours assez conscient de mon déterminisme. Je ne me suis jamais cru très libre. Maintenant, je ne veux pas faire de peine à mes contemporains. S’ils veulent se croire libres pour vivre heureux, grand bien leur fasse ! Malheureusement, la liberté aboutit à l’intolérance. C’est ça qui est dramatique ! Si vous, librement, vous choisissez la vérité; si l’autre, librement, choisit l’erreur, il faut le tuer ! Et c’est ce que vous voyez partout. Tous les gens détiennent la vérité librement. Alors ?

Henri Laborit et Edmond Blattchen dans Comme l’eau qui jaillit

Une pièce musicale de Yutaka Hirasaka – Eau