
Le lis ou le reptile, le chat ou l’ortie savent être splendidement, totalement eux-mêmes. Créatures tourmentées par nos contradictions innées, nous devons dénouer l’écheveau qui est en nous, devenir assez simples pour pouvoir libérer la « note » fondamentale de notre Centre. Notre manière d’y parvenir peut paraître amorale, mais je sais que néanmoins cela est bon, car nous sommes davantage que des êtres moraux. La moralité n’est pas le but de la vie mais tout au plus un raccourci menant à la Réalité. Et ce n’est qu’en épuisant notre propre particularité que nous pouvons aller au-delà, jusqu’au coeur de notre être. Le héros est celui qui est immuablement centré, écrivit Emerson. Ce Centre est aussi cela auquel rien, ni aucun malheur, ne saurait arracher l’homme heureux. Aussitôt dépassés notre angoisse, notre lâcheté, notre vanité, notre patience, notre courage ou notre amour pour un but ou pour un seul être, alors nous atteignons notre « note » la plus profonde, notre Centre, le même en chacun de nous, ce son silencieux auquel toutes les diversités se réfèrent, toutes les différences que nous croyions divergeantes et isolantes se réduisent réellement.
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Notre état d’âme toujours changeant conditionne, transforme même, les paysages et les gens que nous rencontrons.
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Lorsqu’un arbre ou un roc se dresse isolé dans le vide d’un désert, il participe de la grandeur environnante en centrant sur lui-même les radiations de l’immensité ; c’est là le charme du Tibet, ce vide autour du plus simple accident de terrain. Le même charme opère plus intensément encore lorsque au milieu d’une plaine vide c’est le vieux tombeau d’Oldjaytu qui surgit, isolé dans sa simple grandeur – œuf gigantesque dans un massif coquetier hexagonal dominant toute la plaine de Médie.
Ella Maillart (1903-1997) est une voyageuse, écrivain et photographe suisse.
Ella Maillart dans La voie cruelle
Une pièce musicale de Ólafur Arnalds – Only The Winds
