
L’authentique rencontre est rare. Il existe deux mécanismes pour l’éviter à tout prix.
Le premier est de rejeter l’autre pour délit de différence.
Le second est de le « gober » puisqu’il n’y a pas de différence entre lui et moi.
Le premier fait de l’altérité un obstacle insurmontable et exclu la rencontre. Le second veut escamoter la différence pour s’économiser toute friction. Ces deux attitudes sont à dégoupiller car, même si la première est « méchante » est la seconde « bonne », elles sont toutes deux des grenades qui finiront par exploser à l’épreuve de la réalité.
Pour que cette oscillation entre bon cœur (international ou privé) et férocité (internationale ou privée) – entre accueil et rejet – un apprentissage difficile est nécessaire. Il consiste à s’exposer à l’inconfort de l’inconnu. Le plus grand défi est d’oser se présenter devant l’autre dans un non-savoir radical, dans le risque assumé de devoir un peu changer. Car toute rencontre véritable modifie quelque chose en moi. S’il n’y a pas un changement, aussi ténu soit-il en apparence, un glissement délicat, il n’y a pas eu rencontre.
Cet authentique intérêt pour la différence a marqué ma vie et s’est doublé de l’intuition inébranlable que l’autre, dans sa différence, est comme moi dans la mienne – dans son inaliénable légitimité.
Je dois l’expérience de l’altérité à mon enfance marseillaise ou coexistait toutes les races et toutes les nations dans une profusion de forêt tropicales : Africains, Maghrébins, Syriens, Libanais, Arméniens, Vietnamiens, Italiens, Espagnols, Polonais, etc. La rencontre avait lieux au hasard de l’école, des rues, des amitiés, jamais préméditée ni programmée, toujours dans l’apparent et savant désordre de la nature – à la fois sans déterminisme et sans arbitraire, à la manière qu’ont les plantes de se mêler, de se lier ou de s’écarter.
Car les belles entités métisses, ce sont aussi bien les hommes que les villes enrichies par l’intégration et le mélange d’identités.
Si Montaigne a été le premier à refuser d’appeler « barbare » toute culture étrangère, ne le devait-il pas à sa qualité de marrane, à la collision en lui de loyautés diverses ?
« Je suis un Brésilien de pure race, c’est-à-dire un mélange de Portugais, de Noir, d’Indien, d’Italien, peut-être aussi d’Allemand et de Juifs. » C’est avec ces mots qu’à un congrès de littérature en 1991 se présentait le grand écrivain Jorge Amado.
Et n’est-ce pas aussi et surtout grâce aux livres que j’ai pu parcourir des milliers de verstes dans les sandales des autres ?
Christiane Singer (1943-2007) était une femme de lettres française. Qu’il s’agisse de romans ou d’essais, toute son œuvre est baignée de spiritualité. Elle fut disciple de Karlfried Graf Dürckheim. Femme de la rencontre, elle était très régulièrement invitée à donner des conférences dans les contextes les plus variés. Thérapeute, elle conduisait également des séminaires dans la propriété du château médiéval de Rastenberg en Autriche où elle vivait avec mari et enfants. Christiane Singer, nourrissant son récit de souvenirs, d’anecdotes, de contes et de récits mystiques, atteint, avec une grâce infinie, l’intime et l’universel, dans ce livre de sagesse dont on ressort apaisé et radieux.
Christian Singer dans N’oublie pas les chevaux écumants du passé
Une pièce musicale de Mukasamuka – SESSION VAGABONDE #2
