
Le défi que Jérusalem pose encore aujourd’hui au monde est précisément celui-ci : éveiller dans le cœur de chaque être humain le désir de regarder l’autre comme un frère dans l’unique famille humaine.
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De même que le philosophe grec soutenait que les idées préexistent quelque part, que dès lors connaître se réduit à de l’attention, je suis convaincu que les romans et les nouvelles préexistent quelque part, et que écrire consiste à guetter la proie avant de ramener l’animal vivant. Jeune, on croit qu’on crée. Mûr, on comprend qu’on observe. Vieux, on sait qu’on obéit.
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Le mystère ne réside pas dans l’inconnu, mais dans l’incompréhensible.
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Dormir est un rêve qui n’a pas de présent.
On remarque le sommeil au moment où on le perd.
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Depuis le jardin de Gethsémani, je tiens à regarder Jérusalem en face.
Je contemple cette ville arrogante, dure, aux contours acérés. Au-dessus de la rivière Cédron qui entaille les reliefs se profilent des remparts crénelés sur une muraille de roche naturelle. Les toits qui en dépassent sont couverts de tuiles, d’or, de nickel, pointu ici, arrondis là, aplati plus loin, rivalisant d’aspects variés, clochers, tours, donjons, minarets, miradors, terrasses, coupoles, bulbes, mêlant les styles, ceux des croisés, des Sarrasins, des Byzantins, des Templiers, des Ottomans, des Franciscains, des orthodoxes russes ou grecs, à droite un peu d’arabe, à gauche du turc, au centre du colonial. L’architecture assemble des monuments juifs, chrétiens, musulmans, et pourtant une harmonie paradoxale se dégage de cette profusion.
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Chaque religion met une vertu en avant : le respect pour les juifs, l’amour pour les chrétiens, l’obéissance pour les musulmans, la compassion pour les bouddhistes.
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On ne doit pas confondre les yeux et le regard. Les premiers sont matière, le second est lumière. Les uns relèvent du corps, l’autre vient de l’âme.
Éric-Emmanuel Schmitt (1960) est un écrivain et réalisateur français naturalisé belge. Ses œuvres sont très inspirantes.
Invité par le Vatican à un voyage en Terre sainte puis dans la ville-État, l’auteur relate ses deux pèlerinages, entre récit de voyage intime et méditation sur la foi et les religions. Si à Jérusalem sa spiritualité se pare de couleurs et d’odeurs nouvelles, sa rencontre avec le pape François, quelques semaines plus tard, achève de donner corps à sa foi.
Eric-Emmanuel Schmitt dans Le défi de Jérusalem
Une pièce musicale de Le monde est fou/ L’hymne à la beauté du monde
