… Il était une fois

Un père, une mère, une fille

Le père avait la forme d’une ombre se faufilant sur les murs

La mère, le visage caché, portait une longue robe balayant la terre

La fille, silhouette légère, avait les pieds suspendus dans l’air

Et tous les trois gardaient un secret dans le creux de la main

Sur leur paume, un mot était gravé : EXIL

La fille n’avait plus de jouets

On raconte qu’elle les avait échangés contre les lettres de l’alphabet

La mère n’avait plus de sourire

On raconte qu’elle l’avait échangé contre une poignée de souvenirs

Le père n’avait plus de jeunesse

On raconte qu’il l’avait échangée contre quelques pièces de monnaie

Et tous les trois peu à peu devenaient des étrangers

La terre se dérobait sans cesse sous les pieds de la fille

La mémoire s’échappait sans cesse de la tête de la mère

Les pièces manquaient toujours dans les mains du père

Et tous les trois peu à peu perdaient le goût de la vie

Alors, la fille détourna ses yeux de la terre pour apprendre à voler

La mère chassa la mémoire pour apprendre à oublier

Le père ne compta plus ses sous pour apprendre à rêver

Et tous les trois se mirent à rire

Leur rire résonnait si loin

Qu’il pénétra jusque dans les oreilles de leur famille

Leur rire résonnait si fort

Qu’il fit trembler leur terre délaissée

Leur rire résonnait si haut

Qu’il réveilla leur mémoire engourdie

Mais tous les trois, à force de rire, avaient les larmes aux yeux à présent…

Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris. À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets – donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes -, l’effacement progressif du persan au profit du français qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement, au point de laisser enterrée de longues années sa langue natale.

Dans ce récit qui peut être lu comme une fable autant que comme un journal, Maryam Madjidi raconte avec humour et tendresse les racines comme fardeau, rempart, moyen de socialisation, et même arme de séduction massive.

Maryam Madjidi dans Marx et la poupée

Une pièce musicale de Nuraddin Taghiyev – Kor Arab