
Il y avait plus de 700 oiseaux dans la volière royale. La grande cage n’avait pas été conçue pour en abriter autant et la vie leur était devenue très pénible. Mais le roi n’avait pas d’argent à consacrer à son agrandissement. Il était trop accaparé par l’organisation de ses fêtes et par la quête du contentement de ses désirs. Ses sujets connaissaient sa passion pour la gent ailée et lui offraient sans cesse de nouveaux oiseaux, qui venaient enrichir sa vaste collection.
Contrairement à la plupart, Jacquou le loriot ne s’était jamais habitué à sa condition. Il avait la nostalgie des vastes espaces aériens. Il ne pouvait se résigner à ne plus déployer ses ailes, et il dépérissait. Il s’alimentait peu, n’essayait plus de voler et se tenait prostré dans son coin, indifférent au vacarme que provoquait le concert de centaines de gosiers.
Un jour, il sentit venir dans sa direction un drôle d’oiseau. Il le sentit plus qu’il ne le vit : dans son sillage, une espèce particulière d’apaisement se propageait. Comme si, sur son passage, se faisait un silence, non plus oppressé, mais doux. C’était un vieux corbeau, qui avançait tranquillement sur le sol à petites pattes. Le corbeau s’arrêta à une portée d’aile de lui et le contempla avec une tendresse qui contrastait avec ses paroles.
– Tu ne sembles pas être encore arrivé au bout du désespoir, lui dit-il.
– Comment ça ? Mais, je suis désespéré !
– Pas assez, puisque tu restes ainsi passif.
– C’est que je n’en peux plus d’être prisonnier ici ! Je suis à bout, au bord de la mort.
– Bien, je peux donc te parler.
– Que veux-tu me faire comprendre ?
Alors, le corbeau se posa à ses côtés et discuta longtemps avec lui.
Le lendemain matin, quand l’oiseleur royal rentra dans la cage, il trouva Jacquou parmi les dépouilles de la nuit. Le pauvre loriot gisait dans son coin habituel, les ailes recroquevillées.
L’oiseleur le piqua avec une longue épingle pour s’assurer que toute vie l’avait bien abandonné. Le corps pantelant resta sans réaction. L’homme le mit dans sa besace avec les autres, puis il entreprit de donner à boire et à manger aux survivants. En sortant, il jeta les cadavres sur un tas de fumier.
Au soir, Jacquou retourna aux abords de la grande volière. Il avait eu le temps de s’enivrer d’espace, de jouer avec les courants des airs, de retrouver la joie de planer quand on est porté par la chaleur des ascendants. Mais, avant de poursuivre sa route au loin, il tenait à revoir le corbeau et à le remercier pour son enseignement.
Le vieil oiseau semblait l’attendre au sommet d’un perchoir.
– C’est grâce à toi que j’ai obtenu ma liberté. Je t’en suis infiniment reconnaissant. Mais, ne veux-tu pas en profiter aussi ? lui dit Jacquou.
– Oh non, n’est-ce pas ici que je suis le plus utile ?
– Comment peux-tu être aussi stoïque ?
– La vie mène. Je respecte ses courants, comme toi tu suis les courants quand tu voles.
– Oui, il me semble que je comprends. Cependant, c’est tellement grisant de pouvoir voler ! Comment s’en passer ?
– Tu crois gagner quelque chose parce que tu changes de cage. Pour moi, il n’y a pas de cage. Mais je te souhaite de t’épanouir dans ta nouvelle prison.
Quand Jacquou reprit son envol, bien des questions l’habitaient.
Jean-Philippe Faure (1964-) est un auteur et formateur en non-violence, sensibilisation environnementale, communication non violente, communication non violente holistique et non-dualité.
Jean-Philippe Faure dans Contes du frémissement de la liberté : évocation du tantrisme shivaïque cachemirien
Une pièce musicale de Vangelis – Dream in an Open Place
