Pourrais-je un jour atteindre la perfection ?
Demande l’apprenti.
(il est inquiet, ses yeux sont tristes
Son hautbois chante pauvrement.)
Maître Shongland caresse avec délices
La planche bouclée de copeaux.
Que son rabot vient de lisser.
La tranquillité dans le désordre du monde,
Dit-il, telle est la perfection.
*
De grand matin :
– Où est mon ciseau fin ?
Grogne l’apprenti,
Bousculant mailles et varlopes.
– Dans la poche de ton tablier,
Jeune amoureux,
Répond maître Shongland.
Il glousse, amusé,
Chausse ses lunettes
Et sur le banc, devant la porte,
Ouvre son journal jauni
Vieux de sept ans.
L’apprenti se met à l’ouvrage.
Remuements. Soupirs excédés.
– Et ma râpe à bois, Seigneur Dieu,
Où ai-je perdu ma râpe à bois ?
– Dans l’herbe, derrière l’atelier,
Chantonne le vieux luthier.
(un rire silencieux maintenant le secoue.)
Le garçon sort à grands pas,
Chasse un corbeau qui croasse dans l’amandier,
Revient, l’outil au poing,
Se remet à l’établi,
Pousse bientôt un cri rageur,
Agite en grimaçant sa main.
Son pouce saigne.
Maître Shongland.
Riant aux larmes,
Plie son journal,
Essuie ses lunettes embuées.
– Vous vous moquez, c’est mal,
lui dit aigrement l’apprenti.
Tandis que Petite Vertu accourt,
Joyeuse, par le sentier :
– Non, je m’émerveille,
Répond le vieil homme,
Et je savoure d’avance l’instant parfait
Qui ne saurait tarder.
L’apprenti vient se planter roidement devant lui et d’un air de défi demande :
– Qu’est-ce à dire,
Nous sommes aujourd’hui dimanche,
Ton jour de congé,
Répond Maître Shongland
*
Apprends, mon fils,
Mais veille à demeurer sans cesse attentif
Au goût des choses.
Là est le secret,
Dit maître Shongland.
Par-dessus ses lunettes son œil s’éclaire.
« Le savoir est l’époux. La saveur est l’épouse
Et leur fille est la vérité
Henri Gougaud dans Les Dits de Maître Shonglang
Une pièce musicale de Devakant – Blowing Zen