L’histoire sans fin

ImAGE lire

Qui n’a jamais versé, ouvertement ou en secret, des larmes amères en voyant se terminer une merveilleuse histoire et en sachant qu’il allait falloir prendre congé des êtres avec lesquels on avait partagé tant d’aventures, que l’on aimait et admirait, pour qui l’on avait tremblé et espéré, et sans la compagnie desquels la vie allait paraître vide et dénuée de sens.

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Je voudrais bien savoir, se dit-il, ce qui se passe réellement dans un livre, tant qu’il est fermé. Il n’y a là, bien sûr, que des lettres imprimées sur du papier, et pourtant -il doit bien se passer quelque chose puisque, quand je l’ouvre, une histoire entière est là d’un seul coup.

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Tous les mensonges furent un jour des créatures du Pays Fantastique. Ils sont de la même matière -mais ils sont méconnaissables, ils ont perdu leur être véritable. Pourtant, ce que Gmork t’a dit n’était qu’une partie de la vérité – comme il fallait s’y attendre de la part d’un être inachevé comme un loup-garou. Il existe deux chemins pour franchir la frontière qui sépare le Pays Fantastique de monde des hommes, le bon et le faux. Le faux, c’est celui qu’empruntent les êtres du Pays Fantastique quand ils sont entrainés de l’autre côté de cette horrible manière. En revanche, quand les enfants des hommes viennent dans notre monde, c’est par le bon chemin. Tous ceux qui ont séjourné parmi nous ont vécu quelque chose qu’ils ne pouvaient vivre qu’ici et quand ils sont retournés chez eux ils n’étaient plus les mêmes. Ils avaient appris à voir, parce qu’ils nous avaient vus sous notre forme véritable. Si bien qu’ils étaient aussi capables de voir leur propre monde et leurs congénères avec d’autres yeux. Là où ils n’avaient aperçu autrefois que quotidienneté, ils découvraient tout à coup merveille et mystères.

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C’est précisément parce que le Pays Fantastique était infini que sa fin était inéluctable.

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_ Maître, répondit tranquillement le lion, ignores-tu que le Pays Fantastique est le royaume des histoires ! Une histoire peut être récente et cependant parler d’époques très reculées. Le passé naît avec elle.

 _ Dans ce cas, Perelin aussi existerait depuis toujours, songea Bastien, perplexe.

 _ Dès l’instant où tu lui as donné son nom, maître, réplique Graograman, le Bois de la Nuit a existé depuis toujours.

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De la même façon que nos mondes se détruisent l’un l’autre, ils peuvent aussi s’apporter la guérison.

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– Cela veut dire que tu dois faire ce que tu veux vraiment. Et rien n’est plus difficile.

-Ce que je veux vraiment ? répéta Bastien, impressionné. Et qu’est-ce que c’est ?

 – C’est ton secret le plus intime et tu ne le connais pas.

– Et comment puis-je donc le découvrir ?

– En suivant le chemin de tes désirs, en allant de l’un à l’autre, jusqu’au dernier. Celui-là te conduira à ton Voeu Véritable.

 -Cela ne me parait pas si difficile, fit remarquer Bastien.

 -De tous les chemins, c’est le plus dangereux, dit le lion.

 -Pourquoi ? demanda Bastien, je n’ai pas peur.

– Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, gronda Graograman. Il exige une sincérité et une attention sans failles, car sur aucun autre chemin il n’est aussi aisé de se tromper définitivement.

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Il y avait dans le monde des milliers et des milliers de formes de joie, mais au fond toutes ces joies n’en faisaient qu’une: celle de pouvoir aimer.

Michael Ende dans L’histoire sans fin

Une pièce musicale de Johann Sebastian Bach – Fantasía: Tocata et fugue