Le courage de ne pas être aimé

Il est vrai que personne ne souhaite être détesté. Mais regardez les choses sous cet angle : Que faut-il faire pour ne pas être détesté par qui que ce soit ? Il n’y a qu’une seule réponse : Il faut constamment jauger les sentiments des autres tout en jurant fidélité à chacun d’entre eux. S’il y a dix personnes, il faut jurer fidélité aux dix. Si l’on y parvient, on aura réussi, pour l’instant, à n’être détesté par personne. Mais à ce stade, une grande contradiction se profile à l’horizon. On jure fidélité aux dix personnes dans le seul but de ne pas être détesté. C’est comme un politicien qui est tombé dans le populisme et qui a commencé à faire des promesses impossibles et à accepter des responsabilités qui le dépassent. Naturellement, ses mensonges ne tarderont pas à être révélés au grand jour. Il perdra la confiance des gens et sa propre vie se transformera en une souffrance accrue. Et, bien sûr, le stress d’un mensonge permanent a toutes sortes de conséquences. Il faut bien comprendre ce point. Si l’on vit de manière à satisfaire les attentes des autres et que l’on confie sa propre vie à d’autres, c’est une manière de vivre où l’on se ment à soi-même et où l’on continue à mentir aux gens qui nous entourent.

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Le courage d’être heureux englobe aussi le courage de déplaire. Lorsque tu auras atteint ce courage, tes relations interpersonnelles s’en trouveront instantanément allégées.

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Si on a véritablement un sentiment de contribution, on n’a plus besoin de la reconnaissance d’autrui. Parce que l’on aura déjà vraiment conscience d’être « utile à quelqu’un », sans avoir besoin de s’écarter de son chemin pour être reconnu par les autres. Autrement dit, une personne qui est obsédée par le désir de reconnaissance n’a pas encore de sentiment de communauté et n’a pas encore réussi à se livrer à l’acceptation de soi, à la confiance en autrui ou à la contribution aux autres.

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Être félicité, cela signifie essentiellement être jugé « bon » par quelqu’un d’autre. Et cette mesure qui fait dire d’un acte qu’il est bon ou mauvais dépend de l’échelle de valeurs de cette personne. Si, ce que l’on recherche, c’est être félicité, on n’aura pas d’autre choix que de s’adapter au système de valeurs de cette personne et de mettre un holà à sa propre liberté.

Au contraire, le mot « merci », loin d’être un jugement, est l’expression claire d’une gratitude. Lorsque l’on entend des mots de gratitude, on sait qu’on a apporté quelque chose à quelqu’un d’autre.

Ichiro Kishimi (1956- ) est un philosophe spécialisé dans la philosophie classique occidentale, et notamment la philosophie platonicienne.

Ichiro Kishimi dans Avoir le courage de ne pas être aimé

Une pièce musicale de Daniel Bélanger – Oh no !!!