Notes

Depuis que j’ai quitté le monde, et que j’ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J’abandonne ma vie au destin, je ne désire, ni vivre longtemps, ni mourir vite. J’assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n’y accroche pas mon espoir et n’éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j’éprouve sur l’oreiller d’une sieste paisible, et l’ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.

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Ces hommes qui naissent ou qui meurent, qui sait d’où ils viennent et où ils vont ? En cette demeure passagère, savent-ils pour qui ils peinent, ou avec quoi ils charment leurs yeux ? Du maître ou de l’habitation, on ne peut dire quel est le plus changeant. Tous deux sont comme la rosée sur le visage-du-matin. Tantôt la rosée tombe et la fleur reste : mais la fleur se flétrit au soleil matinal. Tantôt la fleur se fane et la rosée demeure : mais la rosée disparaît avant le soir.

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Quand je ne suis pas disposé à faire la prière ou à lire les saintes écritures, je me repose à ma fantaisie ; personne pour m’en empêcher, et point d’ami devant qui je puisse éprouver de la honte. Sans avoir fait vœu de silence, je me tais, étant seul. Sans règle définie, les circonstances m’empêchent de violer les commandements. Le matin, si je vais regarder les blanches vagues, j’imite les pensées du novice Mannsei contemplant les bateaux d’Okanoya. Le soir, lorsque le vent agite les feuilles des katsoura, je pense aux eaux de Jinyô et j’imite le style de Ghenntotokou. Quand je me sens en train, je joue l’air du « Vent d’automne » de concert avec le bruit des pins, ou l’air de la « Fontaine qui coule » uni au murmure de l’eau qui passe. Je n’ai point de talent, mais je ne m’efforce pas de charmer les oreilles des autres : je joue pour moi-même, je chante pour moi-même, et je console mon cœur.

Kamo No Chomei dans Notes de ma cabane de moine

Une pièce musicale de Alexandra Stréliski | Changing Winds | First Play Live