Comment réussir à échouer : Trouver l’ultrasolution

Les détours ne sont-ils pas aussi des façons d’aller droit à autre chose ?

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Si nous sommes contraints, à chaque heure, de regarder ou d’écouter d’horribles évènements, ce flux constant d’impressions affreuses privera même le plus délicat d’entre nous de tout respect pour l’humanité.

Ciceron 80 ans av JC

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Plus tard, à l’université, Franzi apprit que cette « chose radicalement différente et extérieure» cause même des dégâts dans la logique formelle : dans ce domaine, on l’appelle le « tiers exclu ». Exactement comme dans le cas de la phrase de la Bible citée plus haut, la logique classique postule que chaque affirmation doit être vraie ou fausse, et qu’il n’existe pas de troisième possibilité (tertium non datur). Mais vint ensuite «l’enfant terrible», le menteur qui dit : « Je mens. » S’il mentait vraiment, il disait la vérité; mais alors, son affirmation, « je mens », était un mensonge. Et, maintenant, en cette seconde moitié du xx’ siècle, plus de deux mille ans après l’apparition de ce menteur, que faisons-nous de la phrase : «Le roi de France est chauve »? Vrai ou faux?

« Des types comme Wokurka vous feraient détester votre travail », rouspéta la deuxième sorcière.

Vous mettez votre temps et votre énergie à soigneusement construire une situation en apparence inébranlable qui ne laisse que deux possibilités, deux ultrasolutions, et voilà qu’un type en trouve une troisième et s’en va. Par exemple, je ne lui laisse le choix qu’entre la lâcheté et l’imprudence, et il choisit le courage. Ou encore, j’essaie de lui donner envie de quelque chose au point qu’il commence à craindre de ne pas l’obtenir, et il reste totalement indifférent. Récemment, j’amène des gens à lui faire dire s’il croit en Dieu : il hausse simplement les épaules et cite Kant, Comte et Spencer (peu importe qui ils sont), lesquels affirment que ce n’est pas un problème, car si Dieu existait, son existence resterait inaccessible à l’esprit humain. Donc, toujours selon Wokurka, ces éternelles chamailleries entre croyants et athées ne sont qu’un pseudo-problème; il se considère comme un agnostique. Et je sais même qu’en 1942, encore enfant, il montrait déjà des signes clairs de ce méchant défaut. Souvenez-vous, les choses commençaient à mal tourner pour notre cher Adolphe von Braunau qui, avec son extraordinaire talent pour les ultrasolutions, eut l’idée de faire imprimer des affiches sur lesquelles on lisait cette question simple: Le national-socialisme ou le chaos bolchevique? Ne pensez-vous pas que le premier imbécile venu comprendrait qu’il avait à choisir entre une armée de sauveurs aux yeux bleus et une bande de révolutionnaires porteurs d’un mal diabolique? Et que fit Wokurka? Il trouva le moyen de coller des étiquettes sur les affiches; on y lisait : Patates ou pommes de terre? Mon Dieu, si vous aviez vu la mine de nos amis quand ils virent que quelqu’un se moquait de leur définition officielle et absolue du bien et du mal ! C’était pour le moins dangereux d’agir ainsi, mais je pense que même comme candidat-suicide Wokurka est une déception. Cet homme est capable de trouver autre chose même quand il s’agit de choisir entre continuer à souffrir et se tuer. Il est dangereux, mettons-le à l’index.

Paul Watzlawick dans Comment réussir à échouer : Trouver l’ultrasolution

Une pièce musicale de Eternal Eclipse – Hidden Machinations