
Lundi 1 février 1926
Tous ces temps-ci, j’ai eu beaucoup de difficultés avec mon mental. A certains moments, lorsque j’arrive à m’élever au-dessus de lui, tout va bien. Mais à d’autres, je suis débordé. La méditation est pénible et sans grand profit. A d’autres moments, je sens parfois comme le voile est mince. La meilleure méthode que j’ai trouvée consiste précisément à monter le plus haut possible -alors l’inférieur se calme. Les trois centres (Sahasrâra, Âjnâ et solaire) sont alors unis. En dehors de la méditation, le mental mécanique est très agité et j’ai même de la difficulté à lire – à me concentrer sur quoi que ce soit. D’où vient cette difficulté ? Dois-je mettre encore plus d’énergie dans ma méditation et dans mes efforts ? (Pavitra)
Ce qui vous arrive est général. Le mental dynamique (et non pas mécanique, qui ne fait que répéter les actions et pensées de la vie ordinaire) prend d’autant de plus de force que les autres portions plus élevées sont calmes et qu’à certaines périodes il est réduit au silence. Lorsqu’on « retombe » en méditation, on perd pied dans son tourbillon. C’est une expérience générale. Ne pas s’en effrayer mais continuer à se détacher de plus en plus. Lorsque ce détachement sera complet, les vagues deviendront peu à, peu moins puissantes et s’éteindront. Il faudra que cette expérience s’étende à toute la vie consciente, et pas seulement à la période de méditation.
Voici la lettre de Z… que vous m’aviez prêtée.
D’après ce que je pense, elle est dans la période où l’on ne sait pas encore distinguer entre les créations de son propre mental et la vérité. Dans son livre, elle est très affirmative et se croit obligée, par l’autorité du Christ, de le répandre dans le monde. Dans la lettre, elle émet des doutes sur sa capacité de discernement. Mais alors pourquoi attacher tant d’importance à ce qui est douteux. Elle écrit « … La Force qui s’y associe est, et parce qu’elle est et que je la sais être ma Force (et votre Force si vous voulez), Elle ne peut pas me tromper. » Voilà justement ce qui fait trébucher tant de personnes. Elles s’imaginent, parce qu’elles ont l’expérience de quelque chose de supérieur à la mentalité ordinaire, que tout est vérité. Mais lorsque la Force universelle pénètre dans un individu, il y a toute une partie de lui-même qui remonte et cherche à profiter de cette Force pour son avantage propre, pour l’utiliser à ses fins personnelles. Son livre a tout l’air d’être un dialogue entre son mental supérieur illuminé et son mental ordinaire. On a l’impression d’une conversation entre son moi conscient et son être supérieur, ou un autre être ou un dieu.
Mais combien de choses glissent d’en bas vers le haut ! Je le sais, étant moi-même resté longtemps dans cet état. Mais j’ai toujours conservé du criticisme dans mon mental, et mon attention a été éveillée par des mélanges équivoques. Mais c’est une expérience commune et, à moins d’avoir un tact spécial, il est extrêmement difficile de distinguer la vérité dans les débuts. Il faut absolument avoir la sincérité – non pas la sincérité du mental ordinaire, mais quelque chose de plus profond, une impulsion qui fait que l’on ne s’arrête jamais avant d’avoir la vérité, toute la vérité, et que l’on pousse de l’avant.
Vous avez abandonné facilement vos conceptions lorsque vous êtes venu à moi; mais si elles avaient été mélangées d’expériences psychiques personnelles, cela aurait été beaucoup plus difficile.
S’il y a en nous un peu d’orgueil -tout à fait inconscient, même caché sous l’humilité-, il nous fait alors exagérer notre importance personnelle et nous nous croyons appelés à quelque chose de spécial. Ainsi, elle écrit ce livre, prend des disciples, etc. C’est le piège banal.
Espérons que le doute qu’elle manifeste dans la lettre l’aidera à secouer l’illusion.
Aurobindo Ghose ou Sri Aurobindo (1878-1950) est un des fondateurs principaux du mouvement militant indépendantiste indien, un philosophe, poète et écrivain spiritualiste. Il a développé une approche nouvelle du yoga, le yoga intégral.Ces conversations se sont déroulées entre le 18 décembre 1925 et le 20 novembre 1926. Pavitra, un ancien polytechnicien français, était arrivé à Pondichéry le 17 décembre 1925, venant d’une lamaserie de Mongolie ou l’avait poussé sa recherche spirituelle, après avoir passé quatre années au Japon. Il avait 31 ans et s’appelait alors Philippe B. Saint-Hilaire. Il n’a plus jamais quitté Pondichéry, où il vécut pendant quarante-quatre ans au service de Sri Aurobindo et de la Mère.
« Pavitra » est le nom sanscrit qui lui fut donné par Sri Aurobindo. Il signifie « le pur ».
Sri Aurobindo dans Conversations avec Pavitra
Une pièce musicale de Poranguí · Poranguí Carvalho McGrew · Poranguí Carvalho McGrew – Illuminar
