
Lorsqu’on lutte contre les infrastructures de la dépossession, on rencontre des déterminations très diverses. Certain·es ont le cœur soulevé par les abattages d’arbres, d’autres par le déni démocratique institué. D’autres encore se battent contre la perte de leurs outils de travail ou la destruction d’une maison qu’iels ont mis une vie à bâtir, tandis que certain·s sont prêt·es à parcourir des kilomètres par conviction qu’il faut mettre fin à la voracité industrielle. Tou·tes ont des opinions politiques variées, parfois opposées. Cette diversité fait partie de la force de ces luttes. Notre expérience nous a montré qu’il n’était ni possible ni souhaitable de nous organiser au sein d’une même chapelle politique. Nous savons aussi que lutter ensemble est la meilleure manière d’ajuster des convictions parfois très théoriques aux expériences vécues, et nous faisons confiance à l’engagement dans des conflits réels pour vaincre les préjugés, aussi tenaces soient-ils.
Cependant, nous entendons tracer une ligne claire entre une écologie qui fait de la nature une norme pour bannir les corps minoritaires, et une écologie qui cherche dans la nature les forces pour renverser les possesseurs et destructeurs de la terre. Trop souvent, ceux qui se revendiquent d’une « terre » ou d’une « nature » vues comme un en dehors figé et idéalisé ne cherchent qu’une chose : asseoir sur une autorité transcendante la violence envers des corps jugés monstrueux ou inférieurs. Pourtant, s’il est une leçon des récents bouleversements écologiques, c’est bien que les humain·es ne sont pas en dehors du monde naturel. L’activité humaine s’avère capable de perturber ce qu’elle pensait être le cadre immuable de son histoire, tandis que le sol sous nos pieds se soulève. La nature n’est pas un espace idéal à protéger ou à imiter. Elle est l’un des noms de l’humaine condition, mais aussi un champ de bataille où s’affrontent des intérêts et des idées. La lutte contre les possédants, nous la menons donc avec des personnes et des organisations qui se battent directement contre le fascisme ou le patriarcat, depuis l’intérieur du mouvement ou en nouant des alliances avec elles.
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« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ! » Depuis une quinzaine d’années, ce slogan est devenu une sorte d’évidence des luttes écologistes. À l’envers de la séparation moderne des hommes et de la nature, il clame l’appartenance à notre milieu. Nous aussi, depuis les Soulèvements, avons appelé « le vivant » à se défendre, dans le Marais poitevin et ailleurs. Mais nous devons nous méfier de nos propres mots d’ordre. Au nom de « la vie » ou de « la nature », on peut occuper des fermes expropriées par Vinci aussi bien qu’interdire l’avortement ou réprimer les dissidences de genre. Ces mots circulent aujourd’hui partout et dans tous les sens, chacun·e pouvant s’y reconnaître, voilà bien là leur force, et leur faiblesse. Il nous revient ici d’en éclaircir le sens.
Texte extrait du livre des Soulèvements de la terre – Premières secousses
Une pièce musicale de hxlloghxst · Jay Jones · Jay Jones – Please, be safe
