
Il existe une question qui, lorsqu’on la pose sérieusement, donne le vertige : qu’as-tu que tu n’aies reçu en don ?
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Il ne m’est demandé en somme qu’un seul geste pour rester digne de la vie – et quelle qu’ait été la souffrance que j’ai subie : m’incliner. Cette loi secrète semble jouer dans toute vie.
Lorsque, après une relation malheureuse (parents, époux, amants, etc.), je me détourne et m’éloigne sans un regard, la relation est certes coupée.
Mais ce qui demeure, c’est la dépendance.
Même si la relation vivante est sectionnée, le lien têtu de l’inachevé, du malaise et de la malédiction persiste.
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Rejoindre le moment de bifurcation où la vie s’invente de neuf.
Il faut répéter sans se lasser que ce qui existe sur terre n’est qu’une ombre du possible, une option entre mille autres. Nous avons été invités à jouer au jeu des dieux, à créer du frémissement, de l’ample, du vibrant – et non à visser l’écrou de la coercition sociale et des soi-disant impératifs économiques.
Notre inertie rende probable que le probable ait lieu – mais il n’est pas pour autant improbable que ce soit l’improbable qui surgisse.
Ce qu’il y a de toute urgence à transmettre est invisible.
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Le conformisme pousse à désirer des choses qui ne sont le moins du monde désirables, à se laisser étriper, dévaliser pour la possession de biens qui se délitent dès que nous les possédons. Le conformisme nous pousse à faire la sourde oreille aux vraies aspirations de justice, de justesse, d’audace, de solidarité et d’inventivité ; il mène à une torpeur mortelle.
La transmission, elle, consiste dans la révélation de la force de l’esprit : l’homme est en mesure de penser ce qui n’est pas.
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De même que les plus furieuses tempêtes ne perturbent pas les fonds océaniques, les catastrophes historiques et sociales ne menacent pas l’acquis profond de l’homme, ni son savoir et sa sagesse.
Christiane Singer (1943-2007) était une femme de lettres française. Qu’il s’agisse de romans ou d’essais, toute son œuvre est baignée de spiritualité. Elle fut disciple de Karlfried Graf Dürckheim. Femme de la rencontre, elle était très régulièrement invitée à donner des conférences dans les contextes les plus variés. Thérapeute, elle conduisait également des séminaires dans la propriété du château médiéval de Rastenberg en Autriche où elle vivait avec mari et enfants. Christiane Singer, nourrissant son récit de souvenirs, d’anecdotes, de contes et de récits mystiques, atteint, avec une grâce infinie, l’intime et l’universel, dans ce livre de sagesse dont on ressort apaisé et radieux.
Christiane Singer dans N’oublie pas les chevaux écumants du passé
Une pièce musicale de Richter: On The Nature Of Daylight
