
Le célèbre calligraphe Kameda Bosaï est venu de la capitale rendre visite à Ryōkan dans son ermitage du mont Kugami :
« Mon cher Ryōkan, depuis que je connais vos œuvres, j’ai souhaité vous rencontrer…
— Maître Bosaï, vous me faites trop d’honneur, j’ai souvent admiré votre grand talent… »
Ainsi les deux hommes devisent agréablement, font assaut de compliments et de politesses. À un moment, Ryôkan se frappe le front :
« Maître Bosaï, j’y songe brusquement, je n’ai rien à vous offrir, peut- être auriez-vous souhaité un peu de saké ?
– Mais volontiers…
– Très bien, dit Ryôkan. Je vais de ce pas au village, et j’en rapporterai une bouteille de saké. »
Et sans que maître Bosaï ait le temps d’esquisser un geste, Ryôkan disparaît dans la nuit, en direction du village.
Une heure, deux heures passent. Bosaï n’est pas habitué au silence de la montagne. Les oiseaux, et même les insectes, se sont tus. Il a l’impression d’être seul au monde. Et Ryōkan qui ne revient pas !
Enfin, de plus en plus mal à l’aise, maître Bosaï se décide à partir à la recherche de son hôte. Il emprunte le chemin qui descend vers le village. La nuit est claire, mais la solitude est oppressante. Heureusement, à peine a-t-il parcouru quelques centaines de mètres qu’il aperçoit Ryōkan, assis sur un rocher, perdu dans la contemplation du ciel.
« Mon cher Ryōkan ! J’étais inquiet, que vous est-il arrivé ?
– Ah ! bonsoir, maître Bosaï, avez-vous vu la lune ? Elle est magnifique, n’est-ce pas ?
– C’est-à-dire, fait Bosaï un peu décontenancé, oui, je crois, en effet…
– Quelle merveille ! répète Ryôkan.
– Hum, et le saké ? demande maître Bosaï.
– Je me suis arrêté en chemin, et j’ai oublié le saké. »
Et Ryōkan, dont l’âme est pure comme un cristal, éclate de rire.
Henri Brunel (1928-2020) a été proviseur de lycée, professeur de yoga pendant plus de trente ans et également écrivain.
Henri Brunel dans Humour Zen
Une pièce musicale de Eric Aron – Inside
