La retraite sentimentale

Je suis née seule, j’ai grandi sans mère, frère ni sœur, aux côtés d’un père turbulent que j’aurais pu prendre sous ma tutelle, et j’ai vécu sans amies. Un tel isolement moral n’a-t-il pas recréé en moi cet esprit tout juste assez gai, tout juste assez triste, qui s’enflamme de peu et s’éteint de rien, pas bon, pas méchant, insociable en somme et plus proche des bêtes que de l’homme ?…

Du courage, j’en ai, du courage physique — le beau mérite quand on n’a peur de rien — une belle confiance dans des nerfs qui m’obéissent bien et que les sens ont ménagés.

De l’honnêteté… peut-être, mais qui s’habille comme une grue.

De la pitié, guère pour la pauvre espèce à laquelle j’appartiens, parce qu’elle choisit souvent sa misère, et, d’ailleurs, le moyen d’être bonne en même temps qu’amoureuse…?

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« Amoureuse », piètre mot pour exprimer tant de choses !… Imprégnée, voilà qui exprime mieux… Imprégnée, c’est cela tout à fait, imprégnée depuis la peau jusqu’à l’âme, car l’amour définitif m’est si entré partout que je m’attendais presque à voir mes cheveux et ma peau en changer de couleur.

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Et pourquoi mon orgueil s’attache-t-il à ne vouloir dans mon cœur que des êtres « particulier » ? Tout ce qui les identifie au reste du monde m’irrite contre eux et contre moi.

Sidonie-Gabrielle Colette dans La retraite sentimentale

Une pièce musicale de Tannhäuser, WWV 70 (Arr. for Saxophone, Cello, Piano and Percussions by Raphaël Imbert) , Act…