L’âge de l’empathie

Homo homini lupus (« L’homme est un loup pour l’homme »), une déclaration discutable sur notre espèce qui se fonde sur de fausses hypothèses à propos d’autres espèces.

*

L’empathie fait partie intégrante de notre évolution. Elle en est non pas une caractéristique récente, mais une capacité innée vieille comme le monde. Par leur sensibilité automatique aux visages, aux corps et aux voix, les humains sont en empathie depuis l’aube des temps.

*

Nous décrivons volontiers la condition humaine en termes sublimes : quête de liberté, aspiration à une vie vertueuse. Mais les sciences de la vie en ont une vision plus terre à terre. Tout tourne autour de la sécurité, de la camaraderie sociale et d’un ventre plein. La tension manifeste entre ces deux visions rappelle la célèbre conversation entre un critique littéraire et l’écrivain Ivan Tourgueniev lors d’un dîner : « Nous n’avons toujours pas résolu le problème de Dieu et vous voulez manger ! » lui hurla le critique. »

*

Mais si je pouvais modifier une seule chose, ce serait pour amplifier le rôle de l’empathie. Le problème fondamental de nos sociétés aujourd’hui, alors que tant de groupes se côtoient sur une planète surpeuplée, tient à une loyauté excessive envers sa nation, sa société, sa religion. Les humains opposent un profond mépris à qui ne leur ressemble pas ou pense autrement, même entre populations voisines dotées d’un ADN presque identique, comme les Israéliens et les Palestiniens. Les nations se croient supérieures aux autres, les religions estiment détenir la vérité. Quand les contacts tournent à la bousculade, elles sont prêtes à s’évincer, voire à s’éliminer mutuellement. Au cours des années récentes, nous avons vu eux énormes tours de bureaux détruites par des avions qui les ont délibérément percutées, ainsi que des bombardements massifs sur la capitale d’une nation. Dans un cas comme dans l’autre, la mort de milliers d’innocents fut célébrée comme le triomphe du bien sur le mal. On n’accorde souvent aucun prix à la vie de parfaits inconnus. Interrogé sur la raison pour laquelle il ne parlait jamais du nombre de civils tués en Irak le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld répondit :  » Nous ne décomptons pas les morts chez les autres ».

Frans De Waal dans L’âge de l’empathie – Leçons de la nature pour une société solidaire

Une pièce musicale de Michel Pépé – L’ Apaisement