Tu es cela

Le but, éveil ou libération, est la fin de quelque chose. Une façon d’être – par conséquent une façon de voir l’existence et une façon de concevoir l’action – disparaît et l’action fait place à ce que les hindous et les bouddhistes appellent en anglais spontaneity . Mais nous n’en sommes pas là immédiatement et le chemin nous montre d’abord notre incapacité à faire. Les actions ne sont que des réactions, et Swâmiji insistait: «Dont mistake reaction for action » : « ne prenez pas une réaction pour une action». Par la connaissance de soi, vous découvrez peu à peu, et c’est déjà très important, que vous n’agissez pas. C’est une découverte, parce que les hommes vivent dans l’illusion d’agir : des mécanismes tout-puissants sont à l’œuvre en vous, je dis bien tout-puissants, sur lesquels vous n’avez d’abord aucun pouvoir, qui ne tiennent pas compte de la réalité relative du monde phénoménal, et qui vous condamnent à vivre dans votre monde. Ces mécanismes suivent implacablement et stupidement leur propre loi. Certains destins ont été ravagés par ce genre de réactions et, vus du dehors, ils paraissent n’avoir été qu’une suite d’erreurs qu’un observateur peu psychologue jugerait évitables. L’observateur plus informé de la psychologie comprendra que ces erreurs obéissaient à des lois mais elles n’en sont pas moins douloureuses. Un premier aspect de la vision du réel, au moins à un certain niveau, c’est celui de ce divorce poignant, tragique, entre 1a plupart des existences et la réalité relative. II consiste à voir, autour de soi, les autres, mus par leurs propres mécanismes, aller de réactions en réactions au long d’une existence faite de souffrances, menée dans ce qu’on appelle en Inde « avidya », la non-vision, donc qui ne pourra pas conduire à la grande vision, a l’éveil, au dépassement de l’ego.

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La Conscience est absolue. Et tous les phénomènes se déploient à l’intérieur de la Conscience ; le temps se déroule à l’intérieur de la Conscience ; l’espace s’étend à l’intérieur de la Conscience et la causalité joue à l’intérieur de la Conscience. Cela n’est pas la parfaite façon de s’exprimer ; la seule façon parfaite de s’exprimer est le silence. Mais elle est beaucoup plus juste, bien qu’encore imparfaite. Seulement, pendant longtemps, elle demeure incompréhensible. C’est pourquoi nous sommes amenés à utiliser l’autre langage qui part du relatif.

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Si je peux faire silence, ne pas être identifié, laisser les pensées venir, partir, inévitablement cette Conscience se révèle, parce qu’elle est et qu’elle est la seule réalité absolument immuable. Et vous voyez que cette Conscience, en fait, avait toujours été là – toujours. Simplement, vous ne l’aviez pas réalisée, vous ne vous y étiez pas éveillés, vous viviez prisonniers du relatif comme un enfant qui, en regardant un film, croirait que c’est vrai et serait terrifié, alors qu’en fait, un film n’est pas réel, c’est un film !

Arnaud Desjardins (1925-2011) est un maître spirituel français, il a suivi de nombreux enseignements dont au sein de groupes Gurdjieff. Sa pensée s’inscrit dans le cadre d’une tradition spirituelle transmise par son maître, Swami Prajnanpad, avec qui il s’engagera après avoir rencontré et filmé des sages de plusieurs traditions. Il se dit garant de la tradition de l’Adhyatma yoga, branche de l’Advaïta védanta.

Arnaud Desjardins dans Tu es cela – À la recherche du soi : Tome 4

Une pièce musicale de Fatum fatras – Session Studio « Yolcu »