
Quoique le bouddhisme originel dénie l’existence d’une âme permanente qui transmigre et considère cette théorie comme la plus pernicieuse des erreurs, la grande majorité des bouddhistes sont retombés dans l’ancienne croyance des Hindous concernant le jîva (le « moi ») qui, périodiquement « change son corps usé pour un nouveau corps comme nous rejetons un vêtement usé pour un revêtir un neuf.
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La réincarnation des tulkous n’a rien qui puisse sembler étrange à des gens qui croient à un ego qui transmigre périodiquement. D’après cette croyance, chacun de nous est un tulkou. Le « moi » incarné en notre forme présente a existé dans le passé en d’autres formes. La seule particularité qu’offrent les tulkous, c’est qu’ils sont dits être les réincarnations de personnalités remarquables, qu’ils se souviennent, parfois, de leurs existences passées et qu’il leur est possible, en certains cas, de choisir et de faire connaître leurs futurs parents et l’endroit où ils renaîtront.
Néanmoins, certains lamas voient une différence considérable entre la réincarnation du commun des hommes et celle de ceux qui sont spirituellement éclairés.
Ceux disent-ils, qui n’ont pratiqué aucun entraînement mental, qui vivent comme les animaux, cédant inconsciemment à leurs impulsions, peuvent être assimilés à un homme errant à l’aventure, sans suivre aucune direction définie.
Par exemple, il entrevoit un lac à l’est et, étant altéré, le désir de boire le pousse à marcher vers celui-ci. Lorsqu’il s’en approche, il sent l’odeur de la fumée qui éveille en lui l’idée d’une maison ou d’un campement. Il serait agréable pense-t-il de boire du thé au lieu d’eau et d’avoir un abri pour la nuit. Il laisse donc le lac avant d’en avoir atteint le bord et, l’odeur venant du nord, il tourne ses pas dans cette direction. Comme il chemine, avant qu’il ait aperçu aucune maison, ou aucune tente, des fantômes menaçants surgissent devant lui. Terrifié, le vagabond fuit à toute vitesse vers le sud. Lorsqu’il juge être assez loin des monstres pour n’avoir plus rien à craindre d’eux, il s’arrête. Alors, d’autres chemineaux de son espèce viennent à passer. Ils vantent les charmes d’un quelconque pays (…). Et sur cette route encore, d’autres incidents le feront changer de direction avant même d’avoir entrevu le pays désiré.
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Ainsi, changeant continuellement de direction toute sa vie, ce fou n’atteindra jamais aucun but. La mort le prendra au cours de ses folles pérégrinations et les forces antagonistes, nées de son activité désordonnée, seront dispersées. La somme d’énergie nécessaire pour déterminer la continuation d’un même courant n’ayant pas été produite, nul tulkou ne peut être formé.
Louise Eugénie Alexandrine Marie David (1868-1969), plus connue sous son nom de plume Alexandra David-Néel, de nationalités française et belge, est une orientaliste, tibétologue, chanteuse d’opéra, journaliste, écrivain et exploratrice française.
Outre sa longévité, son trait de gloire le plus marquant reste d’avoir été, en 1924, la première femme d’origine européenne à séjourner à Lhassa au Tibet, exploit dont la publicité fut soigneusement orchestrée dans les années 1920 et qui contribua fortement à sa renommée, en plus de ses qualités personnelles et de son érudition.
Alexandra David-Neel Mystiques et magiciens du Tibet
Une pièce musicale de Nepal, Tibet and the Himalayas – Tibetan Chant sung by Dechen
